Il y avait dans ce temps un homme vivant dans le désert des cavaliers armés de lances : c’était un grand roi et un homme vertueux, qui s’humiliait dans la crainte de Dieu, le maître du monde.
Son nom était Mardas ; il était juste et généreux au plus haut degré.
Il avait des bêtes à lait, de chaque espèce mille, des chèvres, des chameaux et des brebis, que cet homme pieux confiait à ses bergers.
De même il avait des vaches qui donnaient du lait et des chevaux arabes semblables à des Péris ; et à quiconque demandait du lait, il en donnait avec empressement.
Cet homme pieux avait un fils qu’il aimait d’une grande tendresse : Zohak était le nom de l’ambitieux.
Il était courageux, léger et sans souci.
On l’appela aussi Peiverasp : c’était son nom en pehlevi (Peiver est un nombre dans cette langue et signifie dix mille) ; car il possédait dix mille chevaux arabes aux brides d’or, dont le renom était grand.
Il était jour et nuit presque toujours à cheval pour acquérir du pouvoir, mais non pour faire du mal.
Un jour Iblis se présenta à son palais sous la forme d’un homme de bien ; il détourna le cœur du prince de la bonne voie et le jeune homme prêta l’oreille à ses discours.
Les paroles d’Iblis lui parurent douces ; il ne se doutait point de ses mauvaises intentions : il lui abandonna son esprit, son cœur et son âme pure et répandit de la poussière sur sa tête.
Lorsque Iblis vit qu’il avait abandonné son cœur au vent, il en eut une joie immense.
Il adressa beaucoup de discours avec décence et douceur à ce jeune homme, dont le cerveau était vide de sagesse.
Iblis lui dit :
Je sais beaucoup de choses que personne ne peut apprendre que de moi.
Le jeune homme lui répondit :
Dis et ne tarde pas ; enseigne-moi, homme aux bons avis.
Iblis demanda d’abord son serment, promettant qu’il lui révélerait après la parole de la vérité.
Le jeune homme, qui était simple de cœur, fit comme il lui disait et prêta le serment qu’il lui avait demandé :
Je ne révélerai pas ton secret, j’obéirai à tout ce que tu me diras.
Alors Iblis lui dit :
Pourquoi y aurait-il dans le palais un autre maître que toi, ô seigneur illustre ?
À quoi bon un père quand il y a un fils comme toi ?
Écoute maintenant mon conseil.
La vie de ce vieillard sera encore longue et pendant ce temps, tu resteras dans l’obscurité.
Prends son trône puissant ; c’est à toi que doit appartenir sa place ; et si tu veux suivre mon avis, tu seras un grand roi sur la terre.
Lorsque Zohak entendit cela, il se mit à rêver et son cœur s’apitoyait sur le sang de son père.
Il dit à Iblis :
Cela ne se peut pas ; conseille-moi autre chose, car cela n’est pas possible.
Iblis lui répondit :
Si tu n’accomplis pas mon ordre, si tu manques à ta promesse et à la foi jurée, ton serment et mon lien demeureront attachés à ton cou ; tu seras un être vil et ton père restera en honneur.
Il enveloppa ainsi de ses filets la tête de l’Arabe et l’amena à se décider à lui obéir.
Zohak lui demanda quel moyen il devait prendre et promit de ne s’écarter en rien de son avis.
Iblis lui dit :
Je te préparerai les moyens, j’élèverai ta tête jusqu’au soleil ; tu n’as qu’à observer le silence : voilà tout.
Je n’ai besoin de l’aide de personne ; je disposerai tout comme il faudra : seulement garde-toi de tirer du fourreau l’épée de la parole.
Le roi avait dans l’enceinte du palais un jardin qui réjouissait son cœur ; il avait coutume de se lever avant le jour, pour se préparer à la prière et de se laver secrètement, dans le jardin, la tête et le corps, sans avoir même un serviteur pour porter son flambeau.
Le vil Div perverti creusa dans ce chemin une fosse profonde, couvrit le précipice avec des broussailles et répandit de la terre dessus.
La nuit vint et le chef des Arabes, ce prince puissant et glorieux, alla vers le jardin ; et lorsqu’il se fut approché du lieu où était la fosse, son étoile pâlit : il tomba dans le fossé et se brisa misérablement.
Ainsi périt cet homme bon et pieux.
Jamais il n’avait traité avec dureté son fils pour aucune action bonne ou mauvaise.
Il l’avait élevé avec tendresse et avec soin ; il était content de lui et lui donnait des trésors ; et c’est ainsi que son fils malheureux et méchant ne voulut pas répondre à sa tendresse comme il aurait dû, ne fût-ce que par honte.
Il se rendit complice du meurtre de son père.
J’ai entendu dire par un sage, que même un mauvais fils, fût-il un lion féroce, n’ose verser le sang de son père.
S’il y a un mot à cette énigme, c’est chez la mère que l’investigateur peut en apprendre le mystère.
Ainsi s’empara le vil, le criminel Zohak du trône de son père ; il mit sur sa tête la couronne des Arabes et gouverna son peuple en bien et en mal.
Iblis voyant ces choses accomplies, trama un nouveau plan et dit à Zohak :
Aussitôt que tu as tourné ton cœur vers moi, tout ce que tu désirais au monde, tu l’as obtenu ; et si tu veux de nouveau t’engager par serment, si tu veux m’obéir et suivre mes ordres, alors le monde entier sera ton royaume ; les animaux sauvages, les oiseaux et les poissons seront à toi.
Lorsqu’il eut parlé de cette manière, il prépara quelque chose de nouveau et imagina une autre ruse étonnante.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021