Un cavalier partit en toute hâte de Kanoudj pour porter au roi cette nouvelle et Schenguil, aussitôt qu’il eut entendu les paroles de cet ami, quitta le lieu de la fête, rapidement comme la flamme ; il courut ainsi jusque sur le bord du fleuve, d’où il aperçut Sepinoud et le héros Bahram.
Il fut courroucé, traversa le fleuve et dit avec colère à Sepinoud :
Ô fille méchante et impudente !
Tu as passé le fleuve comme une lionne avec ce fourbe insolent ; tu veux aller dans l’Iran à mon insu, tu abandonnes un gai paradis pour un désert ; tu vas maintenant voir mes coups de javelot, puisque tu as quitté le chevet de mon lit sans m’en avertir. »
Bahram lui dit :
Malheureux !
Pourquoi as-tu fait courir ton cheval comme un fou ?
Tu m’as mis à l’épreuve et tu sais que je suis aussi vaillant dans la bataille qu’au banquet et en face des buveurs.
Tu sais que cent mille Indiens sont moins devant moi qu’un seul cavalier.
Moi et mes trente compagnons illustres, avec nos cottes de mailles et nos épées du Farsistan, nous remplirons de sang les yeux des Indiens et nous n’en laisserons pas un seul en vie. »
Schenguil savait qu’il disait vrai, car on ne peut pas oublier la bravoure et la vaillance et il répondit :
J’ai mis de côté mes fils, mes parents et mes alliés ; tu m’as été plus précieux que mes yeux, je t’ai gardé comme un diadème sur ma tête, je t’ai donné la femme que tu as désirée, j’ai agi avec droiture et tu m’as trompé.
Tu as préféré l’iniquité à la loyauté et quand as-tu entendu que l’iniquité était un juste retour pour la loyauté ?
Que dirai-je d’un homme que j’ai traité comme un fils, qui m’a paru un homme raisonnable, qui part maintenant comme un vaillant cavalier et croit qu’il peut faire ce qui lui plaît ?
Le cœur d’un Perse peut-il être loyal ?
Car, en disant oui, il pense non.
Tu es comme un lionceau qui fait verser des larmes de sang à ceux qui l’ont élevé ; lorsque ses dents sont poussées et que ses griffes sont devenues aiguës, il veut combattre son père nourricier. »
Bahram lui dit :
Quand tu me connaîtras, tu ne m’appelleras plus ni ennemi ni malveillant ; tu ne me querelleras pas pour mon départ, tu ne me traiteras pas de mauvais cœur et de malfaiteur.
Je suis le roi des rois de l’Iran et du Touran, je suis le chef et le soutien des braves.
Dorénavant je te ferai du bien selon ton mérite ; je trancherai la tête à ceux qui le veulent du mal ; je te traiterai, dans l’Iran, comme un père ; j’épargnerai à ton pays le chagrin de payer son tribut ; la fille sera le flambeau de l’Occident, elle sera comme le diadème sur la tête des reines. »
AS Schenguil resta confondu de ces paroles ; il ôta de sa tête son bonnet indien, frappa son cheval, s’élança de son grand cortège et s’approcha du roi pour s’excuser.
Il embrassa, dans son bonheur, le roi des rois et demanda pardon de ce qu’il avait dit.
Il était heureux de voir Bahram et fit apprêter une table et apporter des coupes.
Bahram lui raconta alors son secret et lui dit ce qui s’était passé dans l’Iran, comment la chose s’était faite et quelle avait été sa pensée et que lui seul avait préparé cette aventure.
Ils burent un peu de vin, puis ils se levèrent et s’excusèrent l’un auprès de l’autre et les ’ deux rois, l’un idolâtre et l’autre adorateur de Dieu, se serrèrent la main et se promirent que, dans l’avenir, ils ne briseraient plus le cœur de la droiture et arracheraient jusqu’au bout la racine de la ruse, -qu’ils seraient de bonne foi éternellement et qu’ils écouteraient les paroles des hommes intelligents.
Ensuite Schenguil prit congé de Sepinoud et la serra dans ses bras ; puis ils se tournèrent rapidement le dos, ayant jeté dans la poussière toute la haine de leurs cœurs et l’un se dirigea vers le fleuve, l’autre vers les terres, tous les deux heureux de cœur et pressés de s’en retourner chez eux.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021