Lorsque soixante.huit ans avaient passé sur lui, le maître du monde à l’esprit éveillé devint malade ; il sentit que sa mort approchait et que la’feuille verte de sa me allait jaunir.
Il fit venir devant lui Schapour et lui donna des conseils innombrables.
Il ajouta :
Souviens-toi de mes recommandations et tiens pour du vent tout ce que disent les détrac-Leurs.
Puisque tu as entendu mes paroles, applique-les, car j’espère que tu sais distinguer ce qui a de la valeur de ce qui n’en a pas.
J’ai remis de l’ordre dans le monde avec le glaive de la justice ; j’ai honoré les hommes de grande naissance.
Quand je fus le seul maître des affaires du monde, la terre a prospéré, mais ma vie a décliné ; et comme j’ai pris beaucoup de peine, ma sueur a beaucoup coulé et mes trésors ont augmenté, de sorte que vous avez devant vous des richesses et des jouissances, car en tout lieu il y a une dépression avant la hau-teur.
La rotation du ciel qui tourne est telle qu’elle t’amène tantôt des douleurs, tantôt du, bonheur ; tantôt la fortune est un cheval vicieux, dont le capricægte porte malheur au milieu de ta prospérité ; tantôt elle est un cheval lancé qui lève la tête dans sa bonne volonté.
Sache, ô mon fils, que ce monde traître ne te laissera pas jouir du bonheur sans des terreurs.
Aie soin de ton corps et observe l’état de ton esprit, si tu veux que tes jours ne se passent pas dans le mal.
Quand le roi rend hommage à la religion, la religion et la royauté sont sœurs ; la foi ne peut se soutenir sans le trône, ni la royauté subsister sans la foi.
Ce sont deux fondations entrelacées, deux ; édifices que l’intelligence a combinés.
La religion ne peut se passer de la royauté et la royauté n’est pas respectée quand la foi est absente : elles sont les gardiennes l’une de l’autre, on dirait que le même manteau les abrite ; elles ont besoin l’une de l’autre et nous les voyons unies pour faire le bien.
L’homme religieux qui a du sens et de l’intelligence emportera la palme dans les deux mondes.
Si le roi est le gardien de la foi, alors ap-pelle-les frères et ne tiens pas pour un homme religieux celui qui parle contre un roi juste ; mais si les hommes pieux en veulent à, un roi, alors garde-toi de l’appeler un homme pur.
Un homme glorieux et éloquent a dit :
Réfléchis et tu verras que la foi est la moelle de la justice.
Le trône d’un roi peut être ébranlé de trois manières : d’abord si le roi est injuste ; ensuite s’il favorise des hommes de bas étage et les élève au-, dessus des hommes de valeur ; enfin s’il gaude ses trésors pour lui et travailleià accumuler de l’or.
Mets ton plaisir à être généreux, à rendre la justice et à employer ton intelligence pour qu’aucun mensonge ne puisse t’approcher, car le mensonge assombrit la face du roi et jamais le méchant n’acquiert de la gloire.
Ne te fais jamais gardien de tes trésors, car les hommes se fatiguent pour acquérir de l’or et un roi avide de trésors augmente les fatigues de ses sujets.
La où est le trésor du cultivateur, la est le trésor du roi et quelque peine, quelques efforts qu’il lui en coûte, il doit être le gardien du trésor du sujet et faire que son travail porte fruit.
Lutte contre les approches de la colère ; aie le courage de fermer les yeux sur les fautes commises contre toi.
Quand tu te mettras en colère, tu t’en repentiras ; quand le pécheur s’excuse, administre le remède du pardon ; chaque fois qu’un roi se met en colère, le sage l’appelle homme de peu de valeur.
Puisque c’est une honte pour un roi de vouloir le mal, il faut que la bonté remplisse son cœur et si la peur entre une seule fois dans son âme, les projets de ses ennemis prévaudront.
Ne crains pas de faire des générosités ; apprécie autant que tu peux, ô mon fils, la valeur de toute chose.
Sache que la royauté convient à celui dont la générosité embrasse le monde entier.
Quelquefois il souffrira des anxiétés que donne la royauté ; lui et son Mobed tiendront conseil ; il s’enquerra de ce qui est juste et injuste et il gardera dans son cœur de roi ce qu’il a appris.
Si tu bois du vin un jour où tu veux chasser, il te fatiguera davantage ; il ne faut pas jouer en même temps deux jeux, le vin et le festin, la chasse et l’air frais ; car le corps s’alourdit par l’agitation du vin ; il y a longtemps que les grands ont fait cette observation.
Si un ennemi se montre quelque part, il faut renoncer à tout cela, réunir de l’argent, fourbir les épées, appeler des troupes de tous. les royaumes.
N’ajourne pas à demain les affaires d’aujourd’hui ; ne fais pas asseoir sur un trône celui qui conseille le mal.
Ne cherche pas de la droiture dans l’âme des hommes vulgaires ; cet essai te porterait malheur et s’ils te disent du mal de quelqu’un, n’écoute pas le détracteur et ne te laisse pas inquiéter par lui, car il n’est dévoué ni au roi ni à Dieu et si tu veux le saisir par le pied, tu trouveras sa tête dans la main : telle est la mesure du commun du peuple.
Puisse l’intelligence être toujours ton lot !
Grains les hommes qui font le mal en secret, c’est d’eux que viennent les périls du monde ; ne dis rien à
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un confident, car il aura aussi des compagnons et des amis ; sache qu’alors ton affaire est perdue et divulguée dans le monde et quand ton secret sera connu de toute la ville, les hommes de sens cesseront de te respecter ; tu te mettras en colère et . le sage t’appellera une tête légère, car cette colère ne te sied pas.
Ne recherche pas les accusations contre qui que ce soit, car celui qui accuse les au-tres t’accusera toi-même et si la passion l’emporte sur ta raison, le sage ne te comptera pas parmi les hommes.
Le roi, maître du monde, qui doit être bienveillant pour tous, a besoin de raison et à Dieu ne plaise qu’un homme colère et hautain, qui trouve du plaisir dans les reproches et les querelles, obtienne une place. auprès de toi, ou qu’un pareil homme devienne ton conseiller !
Si tu veux que les hommes à l’âme pure te louent, renonce à la colère et à la vengeance quand tu seras roi.
Placer la vanité sur le trône de la splendeur n’est pas d’un homme de sens ni d’un adorateur de Dieu.
Ne parle pas beaucoup, n’étais pas ta vertu devant les hommes ; écoute tout : souviens-toi de ce que tu as entendu de mieux ; réfléchis avant de t’attacher à quelqu’un.
Pèse les paroles que tu prononces devant les sages ; montre à tous un bon accueil et un visage souriant.
Ne traite pas avec mépris le pauvre qui demande ; ne place pas sur un trône l’homme malveillant.
À quiconque demande le pardon de ses fautes, ur-corde-le et ne te venge pas de ce qui est passé.
Sois juste envers tous, sois leur providence ; heureux l’homme généreux et patient !
Quand ton ennemi aura peur, il tâchera de te circonvenir par de belles paroles ; mais toi, arme tes troupes, fais . battre les timbales et jette-toi dans la mêlée quand l’ennemi commence à fléchir et quand ses mains sont fatiguées.
S’il demande la paix et promet de se soumettre et si tu n’aperçois pas de la fausseté dans son cœur, exige un tribut de lui, ne te venge pas et ménage ainsi son honneur.
Orne ton esprit de savoir, car en cela consiste la valeur de l’homme et puisque tu le sais, agis selon ce précepte.
La
. générosité le rendra aimé, le savoir et la justice te rendront glorieux.
Garde dans ton âme les injonctions de ton père et laisse-les à ton fils comme un souvenir.
Quand je laisse à mes enfants leur héritage, je ne fais de mal à personne et vous, ne vous écartez pas de mes injonctions et ne méprisez pas un seul instant ces discours.
Rappelle-toi les conseils de ton père, incline vers le bien, tiens le mal pour du vent.
N’afflige pas mes mânes par la perversité, ni mon corps inanimé par le feu.
N’emploie pas ton pouvoir à faire du mal à quelqu’un, ne recherche, ô mon fils, le dommage et le malheur de qui que ce soit.
Il se passera cinq cents ans et alors votre puissance arrivera à sa fin ; les descendants et tous .
les membres de ta famille négligeront mes injonctions, abandonneront la voie de la sagesse et du savoir, n’écouteront pas les avis des sages, devien-
’ dront tous infidèles au pacte qui les lie, s’adonneront à l’injustice, à l’oppression, à la cruauté, rendront misérables leurs sujets, traiteront avec mépris, les adorateurs de Dieu ; ils revêtiront la chemise de la méchanceté et se souilleront avec le culte d’Ah-’riman.
Tout ce que j’ai lié sera relâché, la foi que j’ai épurée sera corrompue ; mes conseils et mes dernières volontés seront comme non avenus et la face de mon pays sera un désert.
Je prie Dieu, le
. créateur du monde, qui connaît tout ce qui est caché et ce qui est ouvert, qu’il vous garantisse de tout mal et que tous les hommes de bon renom vous viennent en aide.
Dieu et moi bénirons celui dont la trame sera la sagesse et la chaîne la justice, qui ne violera pas le pacte que j’ai fait,qui ne convertira pas en amertume le miel que j’ai répandu.
Quarante ans et deux mois se sont passés depuis que j’ai placé sur ma tête la couronne de la royauté ; j’ai fondé dans le monde six grandes villes, dont l’air est comme parfumé de musc et l’eau excellente.
A l’une j’ai donné le nom de Khourreh-i-Ardeschir ; l’air y est sain, dans ses ruisseaux coule du lait ; une autre est Rem-Ardeschir, dont j’ai fait le lieu de passage vers le Fers;.une autre est Ormouzd-Ardeschir, dont les vents rajeunissent les vieillards ; x
ARDESCl-elle est l’ornement du Khouzistan et pleine d’hommes, d’eau, de richesses et de vie;’une autre est Barkehi-Ardeschir, remplie de jardins de bosquets de roses et de bassins d’eau ; enfin deux sont dans le pays de Meïsan et sur les eaux de l’Euphrate, pleines de fontaines, d’animaux et de plantes ; ap-pelle-les constructions du roi Ardeschir et quand tu entends parler de moi, rappelle-toi ceci.
Maintenant je suis prêt pour la tombe, fais terminer mon cercueil et dresser ton trône.
J ’ai supporté bien ; des peines dans le monde, lant en public qu’en secret ; réjouis mes mânes par ta justice et puisses-tu être victorieux et heureux sur le trône ! »
Il parla ainsi et sa fortune s’assombrit.
Hélas !
Cette tête, ce diadème et cette couronne !
Telle est la coutume du monde, il ne veut pas nous dévoiler son secret.
Heureux celui qui n’a pas connu le pouvoir, il n’a pas à quitter un trône !
On se fatigue, on acquiert des richesses de toute espèce ; mais ni unhommeini une chose ne durent et à la fin nous sommes réunis à la poussière et il faut couvrir nos joues du linceul.
Allons tous aider au bien et ne foulons pas cette terre instable pour faire le mal.
Heureux celui qui tient en main la coupe et boit à la mémoire des rois pieux !
Il s’en ira graduellement comme le vin dans sa coupe et s’éteindra quand il aura atteint le bonheur.
Maintenant raconte le règne de Schapour, parle de vin et de fêtes.
Dernière mise à jour : 25 sept. 2021