Écoute la merveilleuse histoire qu’a contée le Dihkan, lorsqu’il a dévoilé les secrets de la ville de Kudjaran sur le golfe Persique, en parlant de tout ce qui s’est passé dans le pays de Fars.
C’était une ville qui contenait beaucoup de bonnes gens, qui tous travaillaient pour vivre ; il y avait beaucoup de jeunes filles qui étaient pauvres et cherchaient à gagner leur pain.
D’un côté la montagne s’approchait de la ville et les jeunes fillesavaient l’habitude d’y aller ensemble, chacune portant du coton qu’on avait pesé et une quenouille de bois de peuplier.
Elles se rassemblaient sous la porte de la ville et allaient de la à la montagne, emportant leur dîner, qui ne différait pas de l’une à l’autre ; il ne s’agissait pas de perdre son temps à manger et à dormir, elles mettaient leur honneur et leur ambition à filer leur coton et le soir elles revenaient chez elles, le coton converti en fil à broder.
Or il y avait dans cette ville un homme pauvre, d’un naturel joyeux, appelé Heftwad (à sept fils), qui tirait son nom et sa réputation de ce qu’il avait sept fils ; il avait aussi une seule et excellente fille, mais . : il ne faisait aucun cas des filles.
Un jour que toutes les fillettes étaient assises sous la montagne avec A leurs quenouilles et qu’à l’heure du dîner elles les avaient mises de côté et s’occupaient à assaisonner ce qu’elles avaient à manger, il se trouva que la fille d’Heftwad avait vu sur la route une pomme que le vent avait fait tomber de l’arbre et qu’elle s’était empressée de ramasser.
Maintenant écoute et tu seras étonné de ce que je vais dire.
Elle mordit dans ce beau fruit et y trouva un ver caché au milieu ; ’ elle l’enleva de la pomme avec son doigt et le déposa doucement dans le godet de la quenouille.
Quand elle reprit la quenouille et le coton, elle dit :
Au nom de Dieu, qui n’a ni égal ni compagnon, je vais au-jourd’hui vous montrer ce qu’on peut filer à l’aide de l’étoile du ver de la pomme. »
Toutes les jeunes filles en rirent et s’en amusèrent, le visage épanoui et en montrant leurs dents d’argent ; mais la fille d’Heftwad fila ce jour deux fois autant qu’à l’ordinaire et marqua son compte sur la terre.
Elle partit rapidement comme la fumée et montra à sa mère ce qu’elle avait filé.
La mère la bénit tendrement et lui dit :
Les étoiles t’ont favorisée, ô ma belle enfant la Le matin, après avoir compté le fil de la veille, elle emporta le double de cotonde ce qu’elle prenait ordinairement et lorsqu’elle. eut rejoint cette foule industrieuse qui appliquait son cœur, son esprit et son corps à filer, elle dit aces jeunes filles :
t V 2&9 et Ô vous aux visages de lune et favorites des étoiles !
’je vais, grâce à l’étoile du ver, filer tant de fil que je ne serai plus jamais dans le besoin. »
Elle fila ce qu’elle avait apporté plus tôt que la veille et si elle en avait eu davantage, elle en serait venue à bout.
Elle rapporta ce fil à la maison et le cœur de sa mère en devint comme le joyeux paradis.
Chaque matin la jeune fille au visage de Péri donna au ver un petit morceau de pomme et plus on augmentait la quantité quotidienne du coton, plus la jeune enchanteresse en filait.
Un jour son père et sa mère dirent à leur fille qui était si habile :
Ô toi au visage de mai !
Tu files tant
.qu’évidemment tu as fait un pacte de sœur avec une Péri. »
’Et la jeune fille au corps argenté dévoila à sa mère le secret de la pomme et du petit ver et montra à ses parents ce ver qui portait bonheur et le mari et la femme furent comblés de joie.
Heftwad prit tout cela pour un présage ; il ne s’occupait plus de son métier, ne parlait plus que de l’étoile du ver et sa fortune, qui avait vieilli, rajeunit.
Ainsi se passa quelque temps et chaque jour il devint plus prospère ; on ne négligea pas le ver, on lui donna à manger abondamment, il devint gros et fort et sa tête et son des prirent de belles couleurs ; le godet de la quenouille fut bientôt trop étroit pour lui, sa robe devint noire comme du musc et sur ce fond noir on vOyait des marques couleur de safran tout le pas BOIS. long de son dos et sur le devant.
Heftwad lui fit une. belle boîte noire dans laquelle il l’établit.
Heftwad devint honoré,’estimé et riche et ses sept fils devinrent puissants, de sorte que personne dans la ville n’osait plus dire qu’une chose était juste ou injuste sans avoir pris son avis.
Or il y avait dans la ville un orgueilleux Emir, qui entretenait des troupes et était un grand personnage ; il cherchait un prétexte contre Heftwad pour extorquer de l’argent à cet homme d’humble naissance ; mais celui-ci rassembla beaucoup de guerriers illustres autour de lui et de ses sept vaillants fils ; les trompettes sonnaient dans la ville de Kudjaran, ils se mirent en marche armés de lances, d’épées et de flèches et Het’twad, à leur tête, livra bataille, combattit bravement, prit la ville, tua l’Emir et s’empara de son trésor et de beaucoup de pierreries.
Les hommes se réunirent à lui en foule et il quitta la ville de Kudjaran ; il se rendit dans la montagne, où il bâtit une forteresse sur le haut d’un rocher et tous les habitants de la ville s’y réunirent à lui ; il plaça une porte de fer à l’entrée du château, dont il fit en même temps un lieu de repos et une place de guerre.
Il y avait sur la montagne une source, qui sortait de la crête même au milieu du château.
Il entoura toute la place d’un mur dont l’œil ne pouvait apercevoir le haut et comme la boîte était devenue trop étroite pour le ver, on lui construisit sur la montagne un réservoir de pierre, dans lequel on le plaça tout doucement, lorsque la pierre et le mortier furent échaudés par l’air.
Tous les matins le gardien du ver sortait de chez Heftwad, préparait une ration qui consistait en un chaudron plein de riz, la portait et le ver la consommait.
Cinq années se passèrent ainsi et le ver devint, de membres et de stature, comme un éléphant ; la fille d’Heftwad en avait toujours soin et lui-même devint le commandant des armées du ver.
On enveloppait ce ver dans des étoffes de soie chinoise, on le nourrissait de riz, de miel et de lait ; les hommes ignorants l’admiraient ; Heftwad se tenait à sa porte comme chef de ses armées et pénétrait de la mer de la Chine jusqu’au Kirman, envahissant avec son armée tous ces pays.
Ses sept fils commandaient chacun dix mille hommes armés d’épées et avaient des trésors et des dépôts d’armes.
Quand un roi lui faisait la guerre et quand son armée arrivait près du ver, toutes les troupes qui s’étaient avancées se décourageaient en entendant le récit de cette histoire et la porte de l’illustre Heftwad était devenue l’objet d’une telle terreur que le vent n’osait pas souiller autour d’elle.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021