Lorsqu’il lui restait encore quarante ans de vie, voici ce que Dieu amena sur sa tête.
Il était endormi au profond de la nuit dans le palais des rois, à côté d’Arnewaz ; alors il vit, de l’arbre royal, sortir tout à coup trois hommes de guerre, deux âgés et au milieu d’eux un plus jeune, ressemblant de taille à un cyprès, de visage à un roi ; sa ceinture et sa marche étaient telles qu’il convient à un prince ; il tenait dans la main une massue à tête de bœuf.
Il venait droit vers Zohak pour le combattre et le frappait de sa massue sur le front ; puis le jeune guerrier l’enroulait de la tête aux pieds avec sa courroie, il lui liait avec cette corde les deux mains à les rendre dures comme la pierre et plaçait un joug sur le col de Zohak.
Il l’accablait de honte, de tourments, de chaleur et de douleur ; il lui versait de la terre et de la poussière sur la tête et le portait vers le mont Demavand, en courant et le traînant après lui à travers la foule.
Le méchant Zohak se tordit en tremblant dans son sommeil et levant tout à coup sa tête, il poussa un cri qui ébranla le palais aux cent colonnes.
Ses femmes, à la face de soleil, sautèrent de leurs lits à ce cri de terreur du maître puissant ; Arnewaz dit à Zohak :
Ô roi !
Confie-moi ce qui t’arrive.
Tu dors dans ton palais en sûreté ; qu’as-tu vu ?
Qui a paru devant toi ?
Tout ce qui est dans le monde t’obéit ; les animaux sauvages, les Divs et les hommes sont tes gardiens ; la terre avec ses sept Kischwers est à toi ; tout, depuis le firmament jusqu’au fond des mers t’appartient.
Que t’est-il arrivé, que tu sautes ainsi de ton lit ?
Dis-le-nous, ô maître du monde.
Le roi répondit :
Un tel songe doit se tenir secret ; car si je vous révélais cette histoire, votre cœur désespérerait de ma vie.
Arnewaz dit au roi puissant : Il faut nous confier ce secret ; peut-être que nous trouverons un remède, car il n’y a pas de mal sans remède.
Alors le roi leur dévoila son secret et leur dit son rêve de point en point.
La belle répondit ainsi au roi :
Ne néglige pas ceci et cherche le moyen d’y remédier.
Ton trône est le sceau de la fortune, le monde est brillant par la grandeur de ta destinée ; tu tiens le monde sous l’anneau de ton doigt, les bêtes fauves et les oiseaux, les hommes, les Divs et les Péris.
Assemble de tous les pays les grands d’entre les sages et ceux qui connaissent les astres, raconte tout aux Mobeds, examine tout, cherche à pénétrer ce mystère.
Découvre qui est celui dont la main te menace, si c’est un homme, un Div ou un Péri ; et quand tu le sauras, alors applique-toi sur-le-champ à y remédier.
Ne te laisse pas étourdir par la peur du mal que te pourraient faire tes ennemis.
Le roi plein de prudence approuva le conseil dont ce cyprès argenté avait jeté le fondement.
Le monde, plongé dans la nuit, était noir comme l’aile d’un corbeau ; soudain la lumière se leva sur les montagnes et tu aurais dit que le soleil eût versé des rubis sur l’azur du firmament.
Partout où il y avait des Mobeds éloquents, prudents et sages, le roi les fit venir auprès de lui de tous les pays et cet homme au cœur brisé raconta le songe qu’il avait eu.
Il les appela et les rassembla dans le même lieu et leur demanda un secours contre la douleur qu’il ressentait.
Il leur dit :
Donnez-moi promptement un avis, dirigez mon esprit vers la lumière.
Il les interrogea en secret pour connaître l’avenir, bon ou mauvais, qui l’attendait, disant :
Comment finira ce temps pour moi ?
À qui sera cette couronne, ce trône et cette ceinture ?
Il faut que vous me dévoiliez ce mystère, ou que vous renonciez à votre vie.
Les lèvres des Mobeds devinrent sèches, leurs joues devinrent pâles, leurs langues pleines de discours, leurs cœurs pleins de douleur.
Ils se dirent :
Si nous lui révélons ce qui doit arriver, son âme s’en ira tout d’un coup et pourtant sa vie est un bien inappréciable ; et si nous ne lui révélons pas son avenir, alors il nous faudra dire adieu à la vie.
Ainsi se passèrent trois jours sans que personne osât donner un avis.
Le quatrième jour, le roi s’emporta contre les Mobeds, qui devaient lui montrer la voie à suivre et les menaça de les faire pendre tout vifs, s’ils ne voulaient pas lui faire connaître l’avenir.
Tous les Mobeds baissaient leurs têtes ; leurs cœurs étaient brisés, leurs yeux pleins de sang.
Mais parmi ces grands, remplis de prudence, il y en avait un dont l’esprit était clairvoyant, dont la conduite était droite, un homme plein de sagesse et de vigilance ; son nom était Zirek ; il était supérieur à tous ces Mobeds ; son cœur se serra et ne trembla point ; il délia sa langue devant Zohak et lui dit :
Vide ta tête de vent, car nul n’est enfanté par sa mère que pour mourir.
Il y a eu avant toi beaucoup de rois dignes du trône de la puissance, ils ont eu beaucoup de soucis et beaucoup de joies et leurs longs jours écoulés, ils sont morts.
Quand tu serais un rempart de fer solidement fondé, la rotation du ciel te briserait également et tu disparaîtrais.
Il y aura quelqu’un qui héritera de ton trône et qui renversera ta fortune.
Son nom sera Feridoun et il sera pour la terre un ciel auguste.
Il n’est pas encore sorti du sein de sa mère et le temps de craindre et de soupirer n’est pas encore venu.
Étant né d’une mère pleine de vertu, il croîtra comme un arbre qui doit porter fruit ; et quand il sera devenu un homme, sa tête touchera à la lune, puis il demandera la ceinture et la couronne et le trône et le diadème.
Sa taille sera comme un haut cyprès, il portera sur son épaule une massue d’acier.
Il te frappera de sa massue à tête de bœuf et te traînera en chaînes hors de ton palais.
Zohak l’impur lui demanda :
Pourquoi me liera-t-il ?
Quelle raison a-t-il de me haïr?
Le Mobed courageux lui dit :
Si tu étais sage, tu saurais qu’on ne fait pas du mal sans raison ; son père mourra de ta main et cette douleur remplira son cœur de haine pour toi.
Il se trouvera une vache d’une grande beauté qui servira de nourrice à ce futur maître du monde.
Elle aussi sera tuée de ta main et c’est pour la venger qu’il prendra la massue à tête de bœuf.
Zohak l’entendit, il prêta l’oreille à ses paroles, puis tomba du trône et s’évanouit.
L’illustre Mobed s’éloigna du puissant trône, craignant quelque malheur.
Lorsque le roi eut repris ses sens, il remonta sur le trône royal et fit chercher dans le monde entier des traces de Feridoun, en public et en secret ; il n’avait ni repos, ni sommeil, ni faim et le jour brillant était devenu sombre pour lui.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021