Zohak

Feridoun enchaine Zohak

...

Zohak, irrité de cette dispute, prépara son retour en toute hâte.

Il ordonna qu’on sellât son cheval léger à la course et doué d’une vue perçante.

Il partit précipitamment avec une grande armée, toute composée de Divs et de braves.

Il se jeta par des chemins détournés sur les terrasses et les portes du palais, ne pensant qu’à sa vengeance.

Lorsque l’armée de Feridoun s’en aperçut, tous se portèrent sur ces chemins détournés ; ils se jetèrent à bas de leurs chevaux de guerre, ils s’élancèrent dans ce lieu étroit.

Toutes les terrasses et toutes les portes étaient couronnées par le peuple de la ville, par tous ceux qui pouvaient porter des armes ; les vœux de tous étaient pour Feridoun, car leurs cœurs saignaient de l’oppression de Zohak.

Des briques tombaient des murs et des pierres tombaient des terrasses ; il pleuvait dans la ville des coups d’épée et des flèches de bois de peuplier, comme la grêle tombe d’un noir nuage ; personne n’aurait trouvé sur la terre un lieu de sûreté.

Tous ceux de la ville qui étaient jeunes, tous ceux qui étaient vieux et expérimentés dans les combats, se rallièrent à l’armée de Feridoun et s’affranchirent du pouvoir magique de Zohak.

La montagne résonnait des cris des guerriers et la terre tremblait sous les sabots de leurs chevaux.

Au-dessus des têtes se forma un nuage de poussière noire, les braves fendirent le cœur des rochers avec leurs lances.

Il s’éleva un cri du temple de feu : Quand une bête féroce serait assise sur le trône royal, tous, vieux et jeunes, nous lui obéirions, nous ne nous soustrairions pas à ses ordres ; mais nous ne souffrirons pas sur le trône Zohak, cet impur dont les épaules portent des serpents.

L’armée et les habitants de la ville se présentèrent ensemble au combat, leur masse était semblable à une montagne et de cette ville brillante s’éleva une poussière noire qui obscurcissait le soleil.

La jalousie excita Zohak à une entreprise.

Il quitta l’armée pour s’approcher du palais ; il se couvrit en entier d’une armure de fer pour que personne, dans la foule, ne le reconnût.

Il monta rapidement au palais élevé, tenant dans sa main un lacet de soixante coudées.

Il vit Schehrinaz aux yeux noirs assise près de Feridoun et pleine d’enchantements et de tendresse ; ses deux joues étaient comme le jour, les deux boucles de ses cheveux étaient comme la nuit ; sa bouche était pleine de malédictions contre Zohak.

Alors, il reconnut que c’était la volonté de Dieu et qu’il ne pouvait espérer délivrance de malheur.

Son cerveau fut embrasé de jalousie, il jeta son lacet dans le palais ; et, sans penser au trône, ne mettant aucun prix à la vie, il se précipita de la terrasse du palais élevé.

Il tira du fourreau un poignard acéré, il ne trahit pas son secret, il ne prononça aucun nom ; mais tenant en main son poignard d’acier et avide du sang des belles à la face de Péri, il s’élança d’en haut.

Aussitôt que ses pieds eurent touché le sol, Feridoun accourut, rapide comme le vent ; il prit la massue à tête de bœuf, frappa Zohak sur la tête et brisa son casque.

Le bienheureux Serosch apparut en toute hâte :

Ne frappe pas, dit-il, car son temps n’est pas venu.

Il est brisé, il faut le lier comme une pierre et le porter jusqu’où deux rochers se resserreront devant toi.

Ce qu’il y a de mieux, c’est de l’enchaîner dans l’intérieur des rochers, où ses amis et ses vassaux ne pourront pénétrer jusqu’à lui.

Feridoun l’entendit, et, sans tarder, prépara une courroie de peau de lion et lui lia les deux mains et le milieu du corps, de sorte qu’un éléphant furieux n’aurait pu briser ses liens.

Il s’assit sur le trône d’or de Zohak, il renversa les mauvais symboles de son pouvoir ; il ordonna que d’en haut de la porte on proclamât ces paroles :

Vous tous pleins de gloire, éclat et de sagesse, il ne faut pas que vous vous teniez sous les armes, il ne faut pas que vous cherchiez une même gloire et une même renommée.

Il ne faut pas que l’armée et les artisans cherchent une distinction de la même espèce : l’un doit travailler, les autres doivent combattre.

Chacun a un devoir qui lui est propre ; lorsque l’un entreprend l’œuvre de l’autre, le monde se remplit de désordre.

L’impur Zohak est dans les chaînes, lui dont les méfaits faisaient trembler le monde.

Puissiez-vous vivre longtemps et heureux !

Retournez joyeusement à votre travail.

Les hommes écoutèrent les paroles du roi, du puissant maître rempli de vertus.

Les grands de la ville, tous ceux qui avaient de l’or et des richesses vinrent, avec des chants joyeux et des présents, tous, le cœur plein d’obéissance envers lui.

Le noble Feridoun les reçut avec bonté, il leur distribua des dignités avec prudence, il donna à tous des conseils et des louanges et leur rappela le Créateur du monde, en disant :

Le trône est à moi et le sort veut que votre étoile brille et que votre pays soit heureux, car Dieu le pur m’a choisi parmi tous et m’a inspiré de descendre du mont Elborz, pour que le monde fût par ma vaillance délivré du mauvais dragon.

Lorsque Dieu nous accorde le bonheur, il faut marcher dans sa voie en faisant le bien.

Je suis le maître du monde entier ; il ne me convient pas de demeurer toujours au même lieu ; s’il n’en était ainsi, je resterais ici et je passerais de longs jours avec vous.

Les grands baisèrent la terre devant lui et le son des timbales s’éleva du palais.

Toute la ville dirigea ses yeux vers la cour du roi, avec des clameurs contre cet homme dont la vie devait être courte, demandant qu’on fit paraître le dragon lié avec un lacet, comme il le méritait.

Peu à peu l’armée sortit et l’on emmena de cette ville, longtemps si malheureuse, Zohak lié ignominieusement et jeté avec mépris sur le dos d’un chameau.

Feridoun le conduisit ainsi jusqu’à Schirkhan.

Lorsque tu entends cela, pense combien le monde est vieux, combien de destinées ont passé sur ces montagnes et ces plaines et combien y passeront encore.

Le roi, que protégeait la fortune, conduisit ainsi Zohak étroitement lié vers Schirkhan et le fit entrer dans les montagnes ou il voulait lui abattre la tête.

Mais le bienheureux Serosch parut de nouveau et lui dit dans l’oreille une bonne parole :

Porte ce captif jusqu’au mont Demawend en hâte et sans cortège ; ne prends avec toi que ceux dont tu ne pourras pas te passer et qui te seront en aide au temps du danger.

Feridoun emporta Zohak, rapide comme un coureur et l’enchaina sur le mont Demawend ; et lorsqu’il l’eut entouré de nouvelles chaînes pardessus ses liens, il ne resta plus aucune trace des maux de la fortune.

Par lui le nom de Zohak devint vil comme la poussière, le monde fut purgé du mal qu’il avait fait ; Zohak fut séparé de sa famille et de ses alliés et demeura enchaîné sur le rocher.

Feridoun choisit dans la montagne une place étroite, il y découvrit une caverne dont on ne pouvait voir le fond.

Il apporta de pesants clous et les enfonça en évitant de percer le crâne de Zohak ; il lui attacha encore les mains au rocher pour qu’il y restât dans une longue agonie.

Zohak demeura ainsi suspendu, le sang de son cœur coulait sur la terre.

Hélas !

Ne faisons pas le mal pendant que nous sommes dans ce monde ; tournons nos mains sincèrement vers le bien.

Ni le bon ni le méchant ne dureront à jamais : ce qu’il y a de mieux, c’est de laisser de bonnes actions comme souvenir.

Tu ne jouiras pas toujours des richesses, de l’or et des grands palais, mais il te restera un souvenir dans la parole des hommes, ne la regarde pas comme une chose sans valeur.

Feridoun le glorieux n’était pas un ange, il n’était pas composé de musc et d’ambre, c’est par sa justice et par sa générosité qu’il a acquis cette belle renommée.

Sois juste et généreux et tu seras un Feridoun.

Il fut le premier qui, par ses actions divines, délivra du mal le monde.

La plus grande de ces actions était d’avoir enchaîné Zohak l’injuste, l’impur ; la seconde, d’avoir vengé son père et purifié la terre ; la troisième, d’avoir délivré le monde des insensés et de l’avoir arraché des mains des méchants.

Ô monde !

Que tu es méchant et de nature perverse !

Ce que tu as élevé, tu le détruis toi-même.

Regarde ce qu’est devenu Feridoun le héros, qui ravit l’empire au vieux Zohak.

Il a régné pendant cinq siècles ; à la fin, il est mort et sa place est restée vide.

Il est mort et a laissé à un autre ce monde fragile et de sa fortune, il n’a emporté que des regrets.

Il en sera de même de nous tous, grands et petits, soit que nous ayons été bergers, soit que nous ayons été troupeau.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021