Une nuit Zal était assis à l’heure où l’on dort, parlant longuement d’Afrasiab et des braves du pays d’Iran, de ses Pehlewans et de ses amis.
Il dit :
Quoique le Pehlewan jouisse d’une fortune heureuse et qu’il possède un esprit éclairé, cependant il faut un roi de naissance impériale qui ait le souvenir des choses qui se sont passées.
Il en est de l’armée comme d’un vaisseau et le trône du roi est pour elle en même temps le vent et la voile.
Si Thous et Kustehem avaient des âmes de rois, il y a bien un peuple et des guerriers nombreux ; mais tout prince qui est dépourvu de sens est indigne du trône du pouvoir : aussi la couronne et le trône ne leur conviennent pas ; il nous faut un roi dont la fortune soit victorieuse, sur lequel repose la grâce de Dieu et dont la parole brille par la sagesse.
Ils cherchèrent longuement parmi la famille de Feridoun un roi qui fût digne du trône du pouvoir et ne trouvèrent que Zew, fils de Thahmasp, qui eût la force d’un roi et la sagesse d’un héros.
Karen, les Mobeds et les chefs des frontières et un cortège nombreux de guerriers pleins de courage partirent et portèrent à Zew cette bonne nouvelle, en disant :
Le trône de Feridoun est rajeuni pour toi ; Zal le Sipehdar et le reste de l’armée t’appellent comme un roi digne du trône.
Zew le fortuné arriva dans un jour fortuné et monta sur le trône élevé ; les grands chantèrent ses louanges et versèrent sur lui des offrandes dignes d’un roi et Zal lui fit hommage comme à son seigneur.
Zew resta cinq ans sur le trône ; c’était un vieillard de quatre-vingts ans ; il fit fleurir la terre par sa justice et par sa bonté.
Il ramena l’armée des voies du mal, car il communiquait dans son cœur avec Dieu le tout pur.
Il ne permit pas de saisir les hommes et de les charger de chaînes et dès son avènement on ne vit plus mutiler personne.
Or il arriva qu’il y eut une famine dans le monde et que toutes les plantes séchèrent et furent altérées ; il ne venait du ciel ni pluie ni rosée et les hommes pesaient le pain au poids de l’argent.
Les deux armées restèrent ainsi en présence pendant cinq mois, se livrant chaque jour de grands combats qui étaient des jours glorieux pour les braves et des luttes de héros.
Mais la famine devint telle qu’on ne savait plus comment y remédier et il ne restait des armées ni trame ni chaîne.
Ils s’écrièrent en même temps et d’une commune voix :
C’est à cause de nos fautes que le ciel nous envoie ce malheur.
Des deux armées il s’éleva des plaintes et des lamentations et un envoyé d’Afrasiab arriva auprès de Zew, disant :
C’est à cause de nous que ce monde passager n’est rempli que de douleurs, de soucis et de peines ; viens, pour que nous divisions la surface de la terre et que nous appelions des bénédictions l’un sur l’autre.
L’esprit des grands était fatigué de la guerre et la famine ne permit pas une longue hésitation.
Ils se promirent d’un commun accord qu’ils ne garderaient pas dans leurs cœurs les vieilles haines, qu’ils partageraient la terre selon la tradition et la justice et qu’ils oublieraient tout ce qui s’était passé.
Toute la partie de la terre comprise entre le Djihoun et la frontière de Roum et qui de là s’étend en ligne continue jusqu’à la Chine et au Khoten, devint, avec ses districts cultivés ou déserts, l’empire du peuple de Touran ; le pouvoir de Zal devait finir à la frontière où commençait l’usage des tentes et que les Turcs, de leur côté, ne devaient pas passer : c’est ainsi qu’on partagea les trônes et les diadèmes.
Zew conduisit son armée dans le pays de Fars ; il était vieux, mais il rendait jeune la terre et Zal se retira dans le Zaboulistan, où les hommes le serrèrent tous dans leurs bras.
Les montagnes se remplirent de tonnerres et de tempêtes ; la terre devint pleine de parfums, de couleurs et de beauté.
Le monde était comme une fiancée dans la fleur de la jeunesse et rempli de sources, de jardins et d’eau courante.
Quand les hommes ne prennent pas la nature du tigre, le monde ne devient pas sombre et étroit pour eux.
Zew rassembla tous les grands et rendit à Dieu le dispensateur de la justice de nouvelles grâces ; et le Créateur du monde accorda aux hommes, après cette famine, la clef de l’abondance.
On prépara une salle de fête en chaque lieu et les hommes délivrèrent leur cœur de toute haine et de tout mauvais vouloir.
Ainsi se passèrent cinq ans pendant lesquels les hommes ne connurent ni peines ni maladies ; mais le monde se lassa de la justice et eut envie de tomber entre les griffes du lion.
La vie du roi qui ressemblait au soleil s’éteignit quand il eut atteint l’âge de quatre-vingt-six ans ; la fortune des Iraniens s’évanouit et Zew le maître du monde, qui avait fait régner la justice, mourut.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021