Saad, instruit de l’arrivée de cet homme illustre, alla à sa rencontre avec une armée nombreuse comme le sable.
Après l’avoir conduit dans sa tente, il l’interrogea touchant l’armée et le Pehlewan, le roi et le Destour, les troupes, leur général vigilant et les provinces.
Il jeta un manteau sous Pirouz en disant :
Nous sommes les hommes du javelot et du sabre : parmi les guerriers intrépides, il n’est jamais question de brocart, ni d’or ni d’argent, de nourriture ni de sommeil.
Ensuite, il écouta les discours de Pirouz, prit connaissance de la lettre qu’il apportait et exprima ses remerciements.
Il rédigea une réponse en langue arabe, où il discutait le fort et le faible ; il y mentionnait les génies et les hommes, les paroles du prophète haschémite, le dogme de l’unité, le Koran, les promesses et les menaces, la vie future et la religion nouvelle.
Il y décrivait la poix brûlante, les flammes et le froid rigoureux de l’enfer ; le paradis avec ses ruisseaux de vin et de lait, son camphre répandu, ses sources jaillissantes, son arbre céleste, ses fontaines de vin et de miel ; puis il ajoutait :
Si le roi embrasse cette religion véridique, la royauté et le bonheur lui seront dévolus dans les deux mondes ; il aura éternellement un diadème, des pendants d’oreilles et toute sorte de biens précieux par l’intercession de Mohammed, il obtiendra le pardon de ses fautes et son corps sera pur comme de l’eau de rose distillée.
Quand la récompense promise est le paradis, il ne faut pas jeter la semence de la haine dans le champ du malheur.
La personne de Yezdegird, la vaste terre, les palais avec leurs jardins, leurs salles d’audience et leurs cours, le trône royal, les festins et les fêtes ne valent pas un cheveu de houri.
Ta couronne et tes trésors t’aveuglent sur ce séjour périssable ; tu mets ta confiance en ce trône d’ivoire, ces chiens et ces faucons, ta fortune et ta couronne.
Mais ce monde, qui ne vaut pas une gorgée d’eau fraîche, devrait-il créer tant de soucis à ton cœur ?
Le sage n’en fait aucun cas ; renonce donc à tes illusions et ne t’écarte pas des voies de la religion.
Quiconque m’apporte la guerre, ne trouvera qu’une tombe étroite et l’enfer.
Le paradis sera ta demeure si tu le mérites ; réfléchis donc au parti que tu dois prendre.
Saad posa le sceau des Arabes sur le parchemin et il y ajouta les bénédictions en l’honneur de Mohammed ; puis il désigna parmi ses guerriers Schobab Moghaïra pour se rendre chez le Pehlewan Rustem.
Un homme illustre parmi les Iraniens vint avertir ce général de l’arrivée du messager :
C’est, lui dit-il, un vieillard débile ; il n’a ni cheval ni armure ; son corps est courbé ; il porte sur l’épaule un sabre étroit et sa tunique laisse voir de nombreuses déchirures.
Dès qu’il entendit ces paroles, Rustem fit dresser une tente de brocart, qu’on garnit de coussins en satin de Chine.
L’armée, aussi nombreuse que les fourmis et les sauterelles, se mit en ligne.
On apporta un siège d’or sur lequel le Pehlewan prit place ; soixante cavaliers iraniens, lions du combat, vêtus de robes violettes brochées d’or, les pieds chaussés de brodequins dorés, le cou et les oreilles ornés de bijoux, se rangèrent autour de la tente parée avec un luxe royal.
Lorsque Schobab arriva sur le seuil de la tente, il ne posa pas le pied sur les tapis, mais marcha modestement sur la terre en se servant de son sabre comme d’un bâton ; puis il s’assit par terre sans regarder personne, sans lever les yeux vers le chef de l’armée.
Rustem lui dit :
Sois heureux et que le savoir maintienne en santé ton âme et ton corps !
L’Arabe répondit :
Homme de bon renom, si tu acceptes la vraie religion, que le salut soit sur toi !
Ces paroles déplurent à Rustem ; il fronça le sourcil et pâlit ; prenant la lettre des mains de Schobab, il la donna à un secrétaire qui en fit la lecture.
Rustem répondit en ces termes :
Dis à ton maître de ma part : Tu n’es ni roi ni prétendant au trône ; mais ma fortune t’a paru s’assombrir et ton cœur a convoité mon trône.
Une telle entreprise n’est pas chose minime aux yeux des gens expérimentés et tu manques de prudence en t’engageant dans cette voie.
Si Saad portait la couronne royale, il me serait permis de prendre part à ses guerres et à ses festins ; mais la faute en est aux astres malveillants.
Que puis-je dire de plus ?
Nous sommes dans un jour de malheur.
Si Mohammed devenait mon guide, si je quittais ma religion ancienne pour un culte nouveau, tout serait bouleversé sous cette voûte bossue du ciel, tout me deviendrait difficile.
Quant à toi, ô messager, retourne en paix ; il n’y a plus lieu de discourir quand vient le jour du combat.
Dis à Saad qu’il vaut mieux périr glorieusement sur le champ de bataille que de vivre pour assister au triomphe d’un ennemi.
Schobab quitta aussitôt le camp et il partit comme s’il voulait rivaliser de vitesse avec le vent.
Dernière mise à jour : 7 janv. 2022