Telle était la situation, lorsque Bijen apprit que Mahouï Souri s’était emparé de la royauté et que, répandant partout ses ordres revêtus du sceau royal, il soumettait le monde à son autorité ; enfin qu’il se dirigeait vert l’Oxus pour combattre à la tête d’une vaillante armée.
Bijen voulut savoir de qui Mahouï tenait la couronne et un homme habile à parler le lui apprit ; Barsam s’exprima ainsi :
Tu sais, ô roi, que lorsque j’emmenai de Djadj mes escadrons, lorsque je partis d’ici au secours de Mahouï avec mes cavaliers fiers et avides de renommée, cet homme avait juré de t’envoyer le trône doré, les bracelets ornés de pierreries, la couronne et le trésor du roi.
C’est à toi seul, te disait-il, qu’appartient en ce monde le trône d’ivoire.
Je me battis dans Merve pendant trois jours ; le quatrième jour, lorsque le soleil répandit sa lumière sur le monde, fatigué de cette longue lutte, je livrai un combat acharné et le perfide Mahouï tourna le dos.
Le Sipehdar de l’Iran, se voyant seul, devint soucieux ; il appela à lui quelques fidèles et nous tua beaucoup de guerriers illustres ; mais abandonné des siens, il prit la fuite, lui aussi.
Mahouï s’empara ainsi sans efforts des trésors de son maître et en disposa.
Quand cet homme criminel fut gorgé de biens, il sembla ne plus me reconnaître.
Pendant les deux mois que notre armée passa à Merve, il n’eut jamais pour nous un regard bienveillant.
C’est lui qui a tué en secret son maître, ce grand roi, flambeau du monde, ce cavalier qui, au milieu de son armée, semblait lever la tête au-dessus de la sphère de la lune ; sa massue n’épargnait aucun guerrier turc et il jetait l’effroi dans le cœur des plus braves.
Mahouï, maître de ses trésors, a usurpé la royauté, il l’a usurpée par un crime aussi odieux.
Maintenant les éclaireurs nous annoncent l’approche de ses troupes ; il ne faut pas qu’elles s’ouvrent un chemin jusqu’à nous ; quand ton ennemi repose sa tête sur l’oreiller, ce n’est pas le moment d’accorder du repos à ton armée.
Puisse l’ivraie ne pas naître dans le jardin royal, car si elle l’envahit, c’en est fait du jardin !
Bijen, ayant entendu ces paroles, réunit une troupe de cavaliers turcs exercés à la guerre ; il partit de Katchgar Bachi, plein de courroux et ne perdit pas un moment en route.
Arrivé près de la ville de Boukhara, il déploya son armée dans la plaine de Nakhscheb et dit à ses officiers :
Aujourd’hui ne vous bâtez pas ; laissons l’ennemi traverser le fleuve et nous offrir le combat ; c’est alors que je pourrai sans doute venger le roi.
Bijen demanda ensuite :
Le chef illustre n’a-t-il pas laissé d’enfants dont on puisse tirer parti ?
Le roi, maître du monde, avait-il des frères ?
À défaut de fils, n’a-t-il pas laissé une fille que nous emmènerions avec nous et dont nous prendrions la défense pour triompher de Mahouï ?
Barsam répondit :
Prince, les jours de cette famille sont maintenant arrivés à leur terme ; les Arabes se sont emparés de leur pays et n’y ont laissé ni roi ni adorateur du feu.
Après avoir entendu ces paroles, Bijen, effrayé des vicissitudes du sort, réunit son armée.
Les éclaireurs l’ayant averti que l’ennemi arrivait et qu’il allait bientôt livrer bataille, Bijen se mit à la tête de son armée pour diriger lui-même l’action.
Tu aurais dit que l’âme de Mahouï Souri allait quitter son corps lorsqu’il vit cette armée, cet amas de cuirasses, de casques et de boucliers dorés, cette forêt de lances, de massues et de haches fabriquées à Djadj et ces chameaux chargés de bagages qui marchaient à l’écart de l’armée.
Dévoré d’inquiétudes, il fit cependant face à l’ennemi, l’air s’obscurcit et la terre sembla disparaître (sous le nombre des combattants).
Dernière mise à jour : 1 janv. 2022