Il y avait une femme aux paroles douces qui servait d’entremetteuse entre Zal et le cyprès ; elle portait les messages de Roudabeh au Pehlewan et ceux de Zal à Roudabeh à l’âme brillante.
Destan la fit appeler, lui raconta tout ce qu’il avait appris et lui dit :
Va auprès de Roudabeh et dis-lui :
Ô nouvelle lune au cœur pur !
Quand une affaire est devenue étroite et difficile, on trouve bientôt une clef pour l’élargir.
Le messager que j’ai envoyé auprès de Sam est revenu joyeux et avec de bonnes nouvelles.
Sam a beaucoup parlé et écouté et débattu et à la fin, il a consenti.
Zal remit en toute hâte à la femme la réponse de Sam à sa lettre et elle partit emportant la lettre et courant vers Roudabeh rapide comme le vent et lui donna nouvelle de cette grande joie.
Roudabeh au visage de Péri versa des pièces d’argent sur la femme et la fit asseoir sur un siège orné d’or ; puis elle donna à son émissaire, pour cette bonne nouvelle, un vêtement complet ; ensuite elle apporta une tiare blanche dont l’étoile ne se voyait pas, tant elle était couverte de rubis et d’or et l’or même ne paraissait pas sous les pierres précieuses.
Elle apporta encore une belle bague de grand prix brillante comme Jupiter dans le ciel et envoya ces deux présents à Destan fils de Sam, avec maint salut et maint message.
La femme quitta la chambre de Roudabeh et arriva dans la grande salle ; mais Sindokht la guettait et la voyant dit à haute voix :
D’où viens-tu ?
Réponds à toutes mes questions et ne cherche pas à me mentir.
De temps en temps, tu passes devant moi, tu entres dans cette chambre sans me regarder et mon cœur a conçu des soupçons sur ton compte.
Ne veux-tu pas dire si tu es la corde ou l’arc ?
La femme eut peur ; son visage devint comme la sandaraque ; elle tremblait et baisa la terre devant Sindokht en disant :
Je suis une pauvre femme qui gagne son pain comme elle peut.
Je vais dans les maisons des grands, où l’un m’achète des vêtements et l’autre des joyaux.
Roudabeh qui demeure dans cette chambre, a désiré des ornements et m’a demandé aussi de belles pierreries.
Je lui ai apporté une tiare ornée d’or et un bracelet de pierres fines digne d’un roi.
Sindokht lui dit :
Montre-les-moi et apaise ainsi ma colère.
La femme lui répondit :
J’ai apporté ces deux objets à Roudabeh et elle veut maintenant que je lui en apporte davantage.
Sindokht dit :
Montre-moi le prix que tu en as reçu et délivre-moi des soupçons qui pèsent sur mon cœur.
La femme répondit :
Roudabeh m’a dit qu’elle me payerait demain, n’exige pas que je montre le prix avant que je le reçoive.
Sindokht savait bien que ces paroles étaient mensongères et elle était déterminée à lutter avec cette femme ; elle s’approcha et examina de force les manches de sa robe et le mensonge et la tromperie parurent à l’instant.
Quand Sindokht vit ces vêtements magnifiques et ces ornements brodés de la main de Roudabeh, elle s’irrita, saisit la femme par les cheveux et la jeta le visage contre terre.
Elle était en colère contre cette femme et la traîna par terre comme une chose vile ; puis elle la laissa tomber et la lia, la foula aux pieds et la battit avec la main.
De là elle courut dans l’intérieur du palais avec un visage sombre et pleine de douleur, de soucis et de colère.
Elle ferma la porte derrière elle ; ses soupçons l’avaient rendue comme insensée.
Elle manda sa fille devant elle, se frappa le visage de ses mains et les larmes inondèrent ses joues jusqu’à les rendre luisantes, puis elle dit à Roudabeh :
Ô lune de noble race !
Pourquoi as-tu préféré un abîme au trône ?
Qu’y a-t-il dans le monde, en fait de bonne conduite, que je ne t’aie pas enseigné en public et en secret ?
Pourquoi fais-tu ce qui est mal ?
Ô ma fille au visage de lune !
Dis à ta mère tous tes secrets.
De la part de qui vient cette femme ?
Pourquoi vient-elle chez toi ?
De quoi s’agit-il ?
Et qui est l’homme à qui sont destinées cette belle tiare et cette bague ?
Le trésor de la puissante couronne des Arabes nous a attiré beaucoup de bonheur et beaucoup de maux.
Veux-tu donc livrer ainsi ton nom au vent ?
Quelle mère a jamais mis au monde une fille comme toi ?
Roudabeh baissa les yeux, regarda ses pieds et resta toute honteuse devant sa mère ; elle versa des larmes d’amour, elle baigna ses joues du sang de ses yeux ; puis elle dit à sa mère :
Ô ma sage mère !
L’amour fait de mon âme sa proie.
Plut à Dieu que ma mère ne m’eût jamais mise au monde !
Alors je n’aurais fait ni le bien ni le mal.
Le roi de Zaboulistan s’est arrêté à Kaboul et c’est ainsi que son amour m’a placée sur un siège de feu et le monde est devenu si étroit pour mon cœur, que je me suis consumée dans cette flamme ouvertement et en secret.
Je ne peux vivre sans voir son visage ; le monde ne vaut pas pour moi un seul de ses cheveux.
Sache qu’il m’a vue et qu’il s’est assis à côté de moi et que nous avons joint nos mains avec une promesse solennelle.
Mais nous n’avons fait que nous regarder et Zal n’a pas attisé entre lui et moi la flamme de la passion.
Un messager est allé auprès du puissant Sam, qui a répondu à Zal le vaillant.
Sam s’est tourmenté pendant un temps et a été affligé ; mais à la fin, il a donné et entendu des paroles convenables.
Il a comblé de présents le messager et je connais toute la réponse de Sam par cette femme à qui tu as arraché les cheveux, que tu as renversée et traînée par terre ; elle est la messagère qui m’a apporté la lettre et le vêtement que tu as trouvé était ma réponse.
Sindokht resta confondue par ce discours, mais elle trouva bon que Zal devînt l’époux de sa fille.
Elle répondit :
Ce n’est pas peu de chose ; il n’y a personne parmi les nobles, qu’on puisse comparer à Destan.
Il est puissant, il est le fils du Pehlewan du monde ; il a un nom glorieux, de la prudence et une âme brillante ; il possède toutes les vertus et n’a qu’un seul défaut, mais un défaut tel qu’il éclipse tous ses avantages : car le roi d’Iran sera fâché de cette affaire et fera voler la poussière de Kaboul jusqu’au soleil.
Il ne voudra pas que quelqu’un de notre race mette le pied à l’étrier.
Sindokht délia la femme et lui parla avec douceur, lui témoignant qu’elle l’avait méconnue ; elle lui dit :
Ô femme pleine de prudence !
Agis toujours comme tu as agi et ne délie pas ta langue.
Ne laisse jamais passer une parole par tes lèvres et porte ton secret sous la terre.
Sindokht s’assura que sa fille était tellement séparée du monde, qu’elle ne pouvait recevoir les conseils de personne ; puis elle alla se coucher dévorée par ses soucis ; tu aurais dit que sa peau se fendait sur son corps.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021