Mihrab et Destan apprirent les desseins que le roi et Sam avaient concertés ; tout le pays de Kaboul en fut troublé et des cris s’élevèrent du palais de Mihrab.
Tandis que Sindokht, Mihrab et Roudabeh désespéraient de leur vie et de toute chose, Zal sortit de Kaboul en colère, le visage défait et les bras levés, en disant :
Si un dragon malfaisant venait pour brûler le monde avec son haleine, il faudrait qu’il me tranchât la tête avant de se rendre maître du Kaboulistan.
Il partit en toute hâte, le foie plein de sang, le cœur plein de pensées, la tête remplie de discours.
Lorsque Sam le brave eut nouvelle que le fils du lion courageux s’avançait sur la route, toute l’armée se leva, on apprêta le drapeau de Feridoun, on battit les tambours du départ et le Sipehbed et son armée allèrent à la rencontre de Zal.
Les éléphants portaient sur leurs dos des drapeaux ornés de belles couleurs, de rouge, de jaune et de violet.
Aussitôt que Destan fils de Sam vit son père, il mit pied à terre et courut vers lui ; les grands, tant du côté du roi que de celui du prince, descendirent de cheval.
Zal baisa la terre et son père lui parla longuement ; puis Zal remonta sur son cheval arabe semblable à une haute montagne brillante d’or.
Tous les grands s’avancèrent vers lui pleins de soucis et lui dirent :
On a exaspéré ton père contre toi, demande-lui pardon et ne montre pas d’orgueil.
Zal répondit :
Ceci ne me fait pas peur, car l’homme n’a d’autre fin que le tombeau.
Mais si mon père se conduit comme un homme de sens, il ne détruira pas une parole par une autre.
Vous verrez que je lui parlerai avec amour et que je ferai couler des larmes de honte sur ses joues.
Ils chevauchèrent ainsi jusqu’au palais de Sam, le cœur ouvert et en joie.
Sam le cavalier descendit et admit sur-le-champ son fils en sa présence.
Zal s’approcha de son père, baisa la terre en étendant les bras, invoqua les grâces de Dieu sur Sam le héros et les larmes de ses yeux effacèrent les roses de ses joues :
Puisse le Pehlewan au cœur prudent être heureux !
Puisse son esprit ne s’attacher qu’à la justice !
Ton épée brûle le diamant, la terre pleure le jour où tu combats ; quand ton cheval bondit au jour de la bataille, ton armée ordinairement trop lente à ton gré se hâte ce jour-là.
Le ciel, quand il entend le sifflement de ta massue, n’ose faire avancer les astres.
Ta justice fait fleurir la terre entière, l’esprit et la prudence sont tes supports.
Ta justice rend heureux tous les hommes, elle s’étend sur toute la terre et sur le siècle entier ; il n’y a que moi qui n’y ai aucune part, quoique je sois un membre de ta famille.
J’ai été élevé par un oiseau, j’ai mangé de la poussière, personne n’est mon égal dans le combat.
Je n’ai conscience d’aucun crime qui donne à qui que ce soit le pouvoir de me faire du mal ; si ce n’est peut-être d’avoir pour père Sam le brave, quoique cette origine ne m’ait pas procuré beaucoup de gloire.
Aussitôt que ma mère m’a mis au monde, tu m’as rejeté, tu m’as exposé sur la montagne.
Tu as livré ton nouveau-né aux douleurs, tu as jeté au feu un enfant qui devait croître.
Je n’ai pas vu de berceau, ni de sein plein de lait ; aucun parent n’a eu soin de moi ; tu m’as porté sur la montagne, tu m’as jeté là, tu as ravi mon cœur à toute tendresse et à tout repos ; tu as lutté contre Dieu le créateur, car d’où viennent la couleur blanche et la couleur noire ?
Maintenant que Dieu le créateur m’a fait grandir et qu’il a jeté sur moi l’œil de sa toute-puissance, je possède des honneurs, du courage, une épée de brave et un ami comme le roi de Kaboul, qui a un diadème, un trône et une lourde massue, de la sagesse et des vassaux qui portent des couronnes.
J’ai fixé ma demeure à Kaboul selon les ordres, je me suis conformé à tes volontés et au serment que tu as exigé de moi.
Tu m’avais promis de ne jamais m’affliger, de faire porter fruit à l’arbre que je planterais ; mais en venant du Mazenderan tu as pris ta résolution, tu es accouru du pays des Kerguesars avec l’intention de désoler le palais que j’habite : c’est ainsi que tu veux me rendre justice.
Me voici devant toi, je livre mon corps vivant à ta colère, fais-moi couper en deux avec une scie, mais ne me dis pas un mot sur le Kaboul.
Fais ce que tu veux, puisque tu as le pouvoir ; mais tout le mal que tu causeras à Kaboul, c’est à moi que tu le feras.
Le prince entendit les paroles de Zal, il écouta avidement, laissa tomber ses bras et répondit :
Oui, c’est la vérité et ta langue en porte témoignage.
J’ai été injuste dans tout ce que j’ai fait à ton égard et le cœur de tes ennemis s’est réjoui de ton malheur.
Tu m’as demandé l’objet de ta passion, tu t’es levé de ta place dans ton angoisse ; réprime ta colère jusqu’à que ce que j’aie trouvé un remède à ton mal et assuré l’accomplissement de tes désirs.
Je vais faire écrire une lettre au roi, que je lui ferai remettre par tes mains, ô mon fils !
Quand le maître du monde verra ton visage et tes prouesses, il cessera de vouloir te persécuter.
Nous lui représenterons tout ce qu’il faudra, nous ramènerons son esprit et son cœur à la justice ; et si le roi notre maître se réunit à moi, toutes nos affaires tourneront selon tes désirs.
Le lion triomphe toujours par la force de sa griffe et partout où il est, il trouve une proie.
Zal-zer baisa la terre et invoqua plusieurs fois la grâce de Dieu sur son père.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021