Minoutchehr

Roudabeh tien conseil avec ses esclaves

...

Il arriva qu’un jour Mihrab se leva de grand matin et sortit de son palais.

Il alla vers le palais de ses femmes et y vit dans la salle deux soleils : l’un était Roudabeh au beau visage, l’autre Sindokht pleine de prudence et de tendresse.

Le palais ressemblait à un jardin du printemps par ses couleurs, ses parfums et ses peintures de toute espèce.

Mihrab s’arrêta devant Roudabeh, étonné de sa beauté et appela sur elle la grâce de Dieu.

Il vit devant lui un cyprès surmonté d’une lune, portant sur sa tête un diadème d’ambre, paré de brocarts et de joyaux et beau comme un paradis.

Sindokht ouvrant ses lèvres et montrant ses dents de perles, demanda à Mihrab :

Comment te portes-tu aujourd’hui ?

Puisse la main du malheur être impuissante contre toi !

Quel homme est ce fils de Sam à la tête de vieillard ?

Est-ce du trône ou du nid qu’il se souvient ?

Se comporte-t-il comme un homme ?

Suit-il les traces des braves ?

Mihrab lui répondit :

Ô cyprès au sein argenté, au visage de lune !

Personne dans le monde, parmi les héros pleins de bravoure, n’ose suivre les traces de Zal.

Jamais on n’a vu dans un palais la peinture d’un homme ayant des bras, maniant les rênes et se tenant à cheval comme lui.

Il a le cœur d’un lion et la force d’un éléphant ; ses deux mains sont comme les flots du Nil ; assis sur le trône, il verse de l’or ; engagé dans le combat, il fait voler des têtes.

Ses joues sont rouges comme les fleurs de l’arghawan ; il est jeune d’années et vigilant et son étoile est jeune.

Dans le combat, c’est un crocodile malfaisant ; à cheval, c’est un dragon aux griffes aiguës.

Il marque la terre de sang dans sa haine, il brandit le poignard brillant ; son seul défaut est que ses cheveux sont blancs et cependant les malveillants n’osent lui faire aucun reproche.

La blancheur de ses cheveux lui sied, on dirait qu’elle ensorcelle les cœurs.

Roudabeh entendit ces paroles, ses yeux brillèrent, sa figure devint rouge comme la fleur du grenadier, son cœur se remplit de feu par amour pour Zal, elle n’avait plus ni faim, ni repos, ni patience ; et la passion ayant pris la place de la raison, elle changea entièrement ses manières et sa conduite.

Quelle bonne parole que celle du sage :

Ne parle pas d’hommes devant les femmes, car le cœur de la femme est la demeure du Div et ces discours font naître en elle des ruses.

Roudabeh avait cinq esclaves turques qui la servaient et qui l’aimaient.

Elle dit à ces esclaves intelligentes :

Je vais vous dévoiler ce qui est caché ; vous toutes êtes les confidentes de mes secrets, vous me servez et vous me consolez dans mes soucis.

Sachez donc toutes les cinq, puisse le bonheur accompagner toutes vos années, sachez que je suis folle d’amour comme la mer en fureur qui jette ses vagues vers le ciel.

Mon cœur est rempli d’amour pour Zal et dans le sommeil même je ne peux cesser de penser à lui.

Mon cœur, mon âme et mon esprit sont remplis d’amour pour lui, jour et nuit je ne pense qu’à son visage.

Maintenant, il faut que nous trouvions un moyen de délivrer mon âme et mon cœur de cette peine.

Personne ne sait mon secret que vous, car vous êtes pleines d’amour pour moi et pleines d’adresse.

Les esclaves furent consternées de ce qu’une mauvaise action pouvait venir de la fille des rois.

Toutes se hâtèrent de lui répondre en sautant comme des Ahrimans :

Ô toi, la couronne des maîtresses du monde et des fières filles des grands, toi qui es célébrée depuis l’Hindoustan jusqu’à la Chine, qui brilles au milieu de l’appartement des femmes comme une bague précieuse ; toi dont aucun cyprès du jardin n’égale la taille, dont les joues éclipsent l’éclat des Pléiades, dont on envoie le portrait à Kanoudj et à Maï et jusqu’au roi de l’Occident : tu n’as donc aucune pudeur dans tes yeux, aucun respect pour ton père ?

Tu veux presser contre ton sein celui que ton père a rejeté de ses bras, lui qui fut élevé sur la montagne par un oiseau, qui est marqué d’un sceau de réprobation parmi tous les hommes !

Jamais mère n’avait mis au monde un enfant vieillard et jamais il ne peut venir de lui un enfant digne de naître.

On s’étonnera de te voir, avec deux lèvres de corail et des cheveux de musc, rechercher un vieillard.

Tous les hommes sont pleins d’amour pour toi et l’image de tes traits se trouve dans tous les palais.

Avec ce visage, cette taille et ces cheveux, le soleil devrait descendre du quatrième ciel pour devenir ton époux.

Roudabeh entendit ces paroles et son cœur s’en irrita comme le feu s’irrite par le vent ; elle poussa un cri de colère contre ses esclaves, sa figure brilla, ses yeux se troublèrent.

Les yeux et le visage enflammés de fureur, les sourcils froncés par la colère, elle dit :

Votre résistance est vaine ; vos paroles ne valent pas la peine d’être écoutées.

Mon cœur s’est égaré sur une étoile ; comment pourrait-il se plaire avec la lune ?

Celui à qui convient la poussière ne regarde pas la rose, quoique la rose soit plus prisée que la poussière ; et quiconque trouve pour son cœur un remède dans le vinaigre, ne trouverait dans le miel qu’une augmentation de douleur.

Je ne veux pas du Kaiser, ni du Faghfour de la Chine, ni d’un prince du pays d’Iran : mais Zal, le fils de Sam, est mon égal en stature ; il a des épaules, des bras et des mains de lion.

Qu’on l’appelle vieux ou jeune, c’est en lui que se repose mon âme et mon cœur ; personne d'autre n’aura de place dans mon âme ; ne me parlez jamais que de lui.

Sans que je l’aie vu, son amour m’a blessé le cœur.

C’est l’ami que j’ai choisi sur ce que j’ai entendu raconter de lui.

Je recherche son amour, non à cause de ses cheveux ou de ses traits, mais à cause de sa valeur.

Les esclaves connurent tout son secret lorsqu’elles entendirent les cris de son âme déchirée et lui répondirent d’une voix :

Nous sommes tes esclaves, nous t’aimons de cœur, nous sommes tes servantes.

Considère maintenant les ordres que tu nous donneras, ils ne peuvent conduire qu’au bonheur.

Une d’elles dit :

Ô cyprès !

Prends garde que personne n’apprenne cette affaire.

Puisses-tu avoir pour rançon cent mille têtes comme les nôtres !

Puisse toute l’intelligence qui se trouve dans le monde venir à ton aide !

Quand il faudrait apprendre la magie et aveugler le monde par nos sorcelleries et nos incantations, nous sommes prêtes à voler avec les oiseaux, à nous faire magiciennes, à courir comme des biches pour venir à ton aide, dans l’espoir d’amener le roi auprès de notre lune et de le faire venir auprès de toi pour servir d’escabeau à tes pieds.

Roudabeh sourit avec ses lèvres de rubis, et, penchant ses joues de safran vers l’esclave, la belle lui dit :

Si tu fais réussir cette ruse, tu auras planté un arbre puissant, qui portera son fruit ; il portera tous les jours des rubis et l’intelligence saura les recueillir dans son sein.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021