Houman partit sur-le-champ et en toute hâte, son front avait pâli et ses joues avaient perdu leurs couleurs.
Il dit à Piran :
Ô favori de la fortune, il nous arrive un grand malheur : cet homme au cœur de lion est Rustem du Zaboulistan et il ne nous reste qu’à pleurer sur le sort de notre armée ;
Car Iblis lui-même ne résisterait pas à cet homme, qui est un léopard sur terre et un crocodile dans l’eau.
Il m’a parlé longuement et a écouté mes réponses ;
Il m’a rappelé le mal qu’a fait chacun de nous.
D’abord, ô mon illustre frère, il m’a appelé par mon nom et s’est beaucoup étendu sur la vengeance de la mort de Siawusch ;
Il m’a parlé de tout ce qui s’est passé autrefois, des pays dépeuplés et ensuite repeuplés, de ce qu’il veut et doit faire, de Bahram et de la famille de Gouderz et de tous ceux qui ont péri.
Le feu emprunte son éclat de son épée et tu verras que tout ce que je dis est véritable.
Je me suis aperçu qu’il n’a d’affection que pour toi seul ;
Il m’a beaucoup parlé de toi et m’a découvert sa pensée.
Maintenant il ne désire voir que toi, de toute cette armée ;
Je ne sais ce qu’il cache dans son cœur.
Va et regarde-le avec sa lance et assis sur Raksch qui ressemble à une montagne ;
Regarde-le avec sa cuirasse, son casque, le Bebr-i-beyan et l’éléphant terrible qui lui sert de monture.
Quand tu l’aborderas, parle-lui avec douceur ;
Ne tire pas ton épée et ne te mets pas en colère.
Il ne fera pas un pas que tu ne sois allé le trouver, car c’est pour toi qu’il reste à la place où il est.
Piran répondit :
Ô toi qui es toujours prêt au combat, je crains que le terme de ma vie ne soit arrivé.
Car si cet homme armé de l’épée est Rustem, cette plaine deviendra pour nous un lieu de malheur, le feu dévastera notre pays et je ne sais ce que prépare notre mauvaise étoile.
Il se rendit auprès du Khakan les yeux remplis de larmes, l’âme et le cœur déchirés de soucis et de rage et il lui dit :
Ô roi, ne t’irrite pas, mais notre fortune a changé.
Lorsque le vaillant Kamous a péri, j’ai été à l’instant frappé du soupçon que cette muraille de fer était Rustem, que c’était son lacet que je voyais enroulé sur lui-même.
Quand même Afrasiab se présenterait ici dans toute sa gloire, on ne verrait pas même en songe Rustem tourner le dos ;
Le Div craindrait de le combattre ; et qu’est devant lui un homme, ou une armée couvrant toute une plaine ?
Il a longtemps habité le Zaboulistan dans la grandeur et la magnificence ;
C’est là qu’il a élevé Siawusch ; et à présent, affligé comme un père, il nous combat et rend la terre étroite devant le maître du monde.
Le héros au corps d’éléphant m’appelle seul de cette armée innombrable.
Je ne sais ce qu’il me veut ;
Mais j’irai, je verrai ce qu’il désire, car mon âme dépérit de douleur.
Le Khakan lui dit :
Va auprès de lui et parle-lui convenablement et avec douceur.
S’il ne désire que la paix et des richesses, pourquoi ces armées se fatigueraient-elles sur cette plaine ?
Fais-lui beaucoup de présents et puis reviens ici, peut-être pourrons-nous éviter une si grande lutte.
Mais s’il a revêtu sa cuirasse de peau de léopard et s’il préfère livrer bataille, alors nous nous fierons en Dieu, nous combattrons joyeusement avec la force que nous donnera le maître du monde ;
Nous ferons tous ensemble une attaque et rendrons tout à coup la plaine étroite pour lui.
Il n’est pas de fer, de feu et d’airain ; il n’est que de sang, de chair et de poil ;
Il ne combat pas dans les airs.
Pourquoi donc ton cœur est-il dévoré de soucis et de sollicitude ?
Quand il se nourrirait de pierres et de fer, les flèches et les javelots le perceront ;
Nous sommes trois cents contre un, tu as donc tort de t’inquiéter de ce combat.
Ce glorieux héros du Zaboulistan n’est pas plus dans la bataille qu’un éléphant ;
Je jouerai donc avec lui un jeu d’éléphant et il ne viendra plus nous combattre.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021