Gouderz et Thous devinèrent le plan des Touraniens et la tête des grands fut troublée par cette ruse.
Le vieux Gouderz dit à Thous :
Le combat est devenu inévitable pour nous.
Nous avons des vivres tout au plus pour trois jours et aucun chemin ne nous est ouvert ;
Nous n’avons ni tentes, ni effets, ni bagages et bientôt l’armée sera affamée.
Ainsi quand la face d’or du soleil aura fait place au voile noir de la nuit, il faudra choisir des cavaliers vaillants et nous précipiter de la montagne sur la plaine, où nous livrerons bataille.
Nous les surprendrons pendant la nuit ;
Nous combattrons bravement pour savoir de quel côté est la fortune et nous sacrifierons tous nos vies, ou nous poserons sur nos têtes la couronne des héros.
Telle est la fin de toute lutte ;
L’un trouve une tombe, l’autre atteint la sphère de la lune.
Thous écouta Gouderz tandis que sa douleur et sa vieille haine se réveillaient ;
Il confia à Bijen une aile de l’armée et l’autre à Kharrad et au vaillant Schidousch ;
Il remit le drapeau fortuné à Gustehem et leur donna beaucoup de conseils et d’avis, comme un homme qui va mourir.
Lui-même, Guiv, Rehham et quelques cavaliers placèrentt leurs massues sur l’épaule, se dirigèrent vers le camp du Sipehdar Piran et se jettèrent comme une flamme sur le centre de son armée.
Bientôt toute la plaine ressembla à une mer de sang et un grand cri s’éleva du camp ;
Le drapeau du Sipehdar fut coupé en deux, le cœur des braves se remplit de peur.
Lorsque Houman entendit ce tumulte, il monta un cheval arabe noir, accourut et vit qu’un grand nombre des siens étaient tombés et que d’autres s’étaient enfuis effrayés du carnage.
Le sang coula de ses yeux sur sa poitrine et il cria d’une voix forte à ses troupes :
Il n’y avait donc pas de vedettes ici !
Vous n’entendez donc rien à la guerre !
Nous sommes trois cents contre un, mais le mal est de manger et de dormir sur le champ de bataille.
Allons !
Tirez vos épées d’acier, couvrez vos têtes avec vos boucliers chinois, coupez le chemin à ces fiers guerriers, à l’aide de la lune qui va se lever sur la montagne.
Il ne faut pas qu’un seul d’entre eux nous échappe ;
Ne perdez pas de temps à vous revêtir de vos armures.
On entendit le son des trompettes et les braves s’ébranlèrent de tous côtés ;
Ils entourèrent les cavaliers iraniens comme des lions féroces ;
Les épées et les casques étincelèrent, il semblait pleuvoir des massues à travers le brouillard ;
La nuit sombre, les épées et la poussière faisaient disparaître les étoiles, Vénus et la lune ;
Il semblait que les Iraniens étaient entourés d’un mur de cuirasses et qu’ils nageaient dans les ténèbres comme dans une mer de poix.
Houman dit aux siens :
Ne tuez plus aucun de ces grands ;
Amenez-les-moi tous captifs et sans les blesser par des coups de flèches !
Mais toute l’armée s’écriait :
Combattez à outrance, prenez vos massues et vos épées, frappez et placez sur leurs têtes une couronne de sang.
Thous dit à Guiv et à Rehham :
Nous avons sans doute été ensorcelés ;
Et si le créateur du ciel sublime ne tire pas de ce danger nos corps et nos âmes, nous sommes sous le coup d’aile de l’aigle, ou noyés dans les flots de la mer.
Ces trois héros firent une attaque ensemble, comme des lions qui bondissent dans leur colère ;
Mais du côté des Touraniens s’éleva le bruit des clairons et des trompettes et le son des timbales et des clochettes indiennes ;
On ne voyait plus les rênes et les crinières des chevaux et la mêlée était telle qu’on se crevait les yeux avec les lances ;
Houman s’écria d’une voix perçante :
Vous n’avez plus d’espace pour combattre ni d’issue pour vous enfuir ;
Votre mauvaise fortune vous a fait sortir de votre camp pour qu’il arrive malheur aux méchants.
De ceux qui étaient venus livrer combat il ne restait déjà plus que les trois chefs et quelques débris de leur petite armée ;
Ils prononçaient fréquemment le nom de Rustem toujours victorieux ;
Ils parlaient beaucoup de Schidousch, de Bijen et de Gustehem, car ils ne voyaient au milieu des ténèbres aucun Iranien sur le champ de bataille ; Ils s’écrièrent :
Nous sommes venus ici pour lutter et pour combattre ;
Nous nous sommes jetés follement dans la gueule du crocodile.
Hélas !
Que deviendra la couronne du roi de la terre !
Car ils vont tout à coup nous faire prisonniers ;
Tehemten et Zal sont dans le Zaboulistan et la puissance de l’Iran sera détruite.
Pendant ce temps on entendait du camp iranien le bruit des massues et le son des trompettes ;
Thous et Guiv ne revenant pas, Gustehem et Schidousch le lion se disaient :
Le combat que livre le Sipehdar est long
Et Bijen répétait à Gourazeh :
Le chef de l’armée reste absent bien longtemps
Lorsque au milieu de l’air sombre et des ténèbres d’ébène qui couvraient la terre ils entendirent dans la plaine les cris de Thous.
Les héros partirent en se guidant sur le son de cette voix, ils trouvèrent la plaine partout inondée de sang ;
Arrivés plus près de leur Sipehdar, ils saisirent tous leurs lourdes massues.
Alors on lâcha les brides, on s’appesantit sur les étriers et l’on ne distinguait plus ce qui était haut de ce qui était bas.
Les coups des héros et le bruit des clochettes étaient tels qu’ils auraient fait sortir le crocodile du fond de la mer.
Ils étaient tous armés de massues et d’épées et Houman s’aperçut bientôt de la venue de ces cavaliers.
Thous aussi vit qu’il lui arrivait des secours ;
Il poussa des cris semblables au son des timbales ;
Le combat continua jusqu’à l’aube du jour et lorsque le soleil qui éclaire le monde parut, les héros retirèrent leurs troupes du combat et les ramenèrent vers la montagne et les rochers.
Thous leur dit :
Puisse, depuis le lever du soleil jusqu’à l’heure où l’on bat les timbales, le mauvais œil rester éloigné de ceux qui portent haut la tête !
Puisse notre lutte se terminer par une fête !
Jamais je n’ai vu d’actes de bravoure comme les vôtres ;
Jamais les hommes de guerre ne m’en ont raconté de pareils.
Je prie Dieu le saint qu’il n’arrive pas de mal à cette armée, je ne cesse d’avoir en lui la confiance qu’il nous fera partir d’ici le cœur en joie ;
J’espère que par sa grâce et sans délai, une armée rapide comme la fumée nous rejoindra.
Le messager monté sur un dromadaire de course, qui est parti pour la cour du roi de la terre, doit maintenant être arrivé et quand le roi aura reçu ma lettre, son cœur se sera enflammé d’une ardeur nouvelle et le héros au cœur d’éléphant viendra à notre aide avec une armée de vaillants lions.
Alors nous nous en retournerons satisfaits, triomphants et désireux de voir Keï Khosrou ;
Je raconterai au victorieux roi du monde tout ce qui s’est passé en public et en secret ;
Et par sa grâce et sa bonté votre sort comblera vos désirs.
Les deux armées avaient renoncé au combat et se reposaient ;
Et l’on envoya des deux camps des vedettes dans la plaine où les héros avaient montré leur valeur.
Houman visita le champ de bataille où il eut de la peine à se frayer un chemin à travers les morts et il dit à Piran :
Rentre au camp pour aujourd’hui ;
Le combat n’a pas tourné selon notre gré ;
Mais lorsque mes héros, mes nobles destriers et mes troupes auront pris du repos, je livrerai une bataille telle que le soleil et la lune n’en ont jamais vu de semblable.
Ayant ainsi parlé, ils se quittèrent, chacun méditant un plan différent.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021