Lorsque l’aube du jour montra sa tête au-dessus de la montagne et que la nuit retira le pan de sa robe noire, Houman revêtit son armure de combat, se rendit auprès de Piran et lui raconta tout ; comment il avail défié Bijen fils de Guiv et s’était pri-.9 paré au combat pendant toute la nuit.
Ensuite, il appela un truchement de l’armée, le fit monter sur un cheval bai, rapide comme le vent et lui dit :
Va auprès de Bijen et dis-lui d’accourir en toute hâte, a car je vais arriver comme un tourbillon de fumée. »
Le messager étant revenu, lui dit :
Puisse la raison être la compagne de ton âme chérie ! »
Le Sipehdar Houman partit, vite comme la poussière, pour voir qui d’entre les braves oserait le combattre ; et en même temps Bijen courut prêt pour la lutte, accompagné d’un truchement, assis fermement sur son cheval Schebaheng et s’avançant au combat, semblable à un vaillant léopard.
Sa poitrine était couverte d’une cotte de mailles de Pehlewan et sur sa tête brillait le casque royal de Siawusch.
Il dit à Houman :
Ô homme léger, rappelle-toi qu’hier tu m’as dérobé ta lère, mais j’espère qu’au- : rjourd’hui mon épée la séparera de ton corps et trempera la terre de ton sang.
Tu n’aurais pas dû oublier le mot que l’argali sauvage à dit à l’antice lope :
Quand toute la plaine serait couverte de soie, je ne m’approcherais pas du côté où mon pied au- rait échappé à un piégc ; je saurais m’en souvenir. »
Houman lui répondit :
Guiv sera aujourd’hui n frappé au cœur et privé de son vaillant fils.
Choi-’sis-tu le mont Kenabed pour lieu de combat, ou prélÊlrcslu aller du côté de Reibed, afin que perun . , sonne ne puisse venir à notre aide, afin que ni Iranien ni Touranien ne puisse nous secourir ni l’un ni l’autre ? »
Bijen dit :
Quc de paroles !
Atta-
rrque-moi où tu voudras. »
Ils lancèrent leurs chevaux qui faisaient élever la poussière, ils bandèrent leurs arcs de combat.
Ces deux hommes prêts à verser du sang portaient haut la tête et leurs cœurs partageaient la haine qui auiv mait leurs rois.
Ils sortirent des montagnes de Kenabed et se dirigèrent vers la plaine ; ils arrivèrent dans un désert où l’on n’apercevait sur le sol aucune trace du pied de l’homme, où le ciel n’était pas traversé par des vautours, où la poussière ne portait pas l’empreinte du pied du lion et où l’on ne voyait tout autour aucun homme des deux armées qui eût pu les aider et les secourir l’un ou l’autre.
Ils convinrent alors qu’ils n’attaqueraient pas sans sujet les truchements et que celui qui sortirait en vie de ce combat les laisserait aller sans leur faire de mal, pour qu’ils pussent raconter aux rois le bonheur ou le malheur que la rotation du ciel aurait amené, ce qui se serait l’ait, les combats qui auraient été livrés, les désastres qui seraient arrivés sur cette plaine sanglante.
Étant convenus de cela, les vaillants cavaliers mirent pied à terre, boutonnèrent les caparaçons de mailles et les attachèrent fortement sur leurs destriers.
Les deux guerriers sellèrent leurs chevaux aux pieds de vent ; et l’âme pleine de rose] lère, le cœur rempli de haine, ils préparèrent leurs arcs soigneusement et s’élancèrent sur le champ de bataille.
Ils placèrent les flèches à pointe d’acier et tendirent les arcs jusqu’à ce que les deux bouts se touchassent ; ayant épuisé leurs flèches, ils saisirent à l’instant les lances, manièrent la bride pour tourner à droite et à gauche et leurs cuirasses tombè-rent bientôt en morceaux sous les coups de leurs lances brillantes : Nous allons voir à qui manquèrent les forces et qui trahit la fortune.
Leur bouche restait béante, tant elle était desséchée par la soif ; ils avaient besoin de boire et de se reposer.
À la fin ils s’arrêtèrent pour respirer et pour jeter de l’eau sur le feu ardent de leur soy’. Ensuite ils saisirent leurs boucliers et leurs épées tranchantes ; tu aurais dit que c’était le jour de la résurrection :
le l’en sortait de leurs casques et de leurs glaives comme des éclairs que lance un nuage sombre, mais l’acier ne pouvait pas faire de blessures à travers l’acier brillant ; les coups des épées damasquinées tombaient dans cette lutte des braves comme un torrent de leu ; aucun ami ne les aidait à verser du sang et leur cœur ne se fatiguait pas du combat.
Ils prirent les massues après les épées et combattirent à outrance ; ensuite ils ’commencèrent à essayer la force de leurs mains et à chercher le triomphe et la victoire en s’enlevant l’un l’autre de dessus leurs chevaux ; ils se saisirent à la ceinture, de manière que le plus fort devait soulever l’autre et le lancer par terre comme une chose vile.
Ces héros étaient si forts que les courroies de leurs étriers se brisèrent par la violence de leurs efforts ; néanmoins ils ne tombèrent pas de cheval et aucun des deux ne put dompter l’autre.
Ensuite ils mirent pied à terre ; les deux braves pareils à des lions furieux se reposèrent du combat, pendant que leurs truchements tenaient leurs chevaux.
Après ce temps d’arrêt ils se levè- rent de nouveau et se préparèrent à lutter ensemble.
C’est ainsi que depuis l’aube du jour jusqu’à ce que le soleil couchant prolongeât les ombres, ces deux hommes avides de sang se combattirent, remplis tantôt de crainte, tantôt d’espérance, mais sans qu’aucun d’eux conçût la pensée de renoncer à sa vengeance.
Leur bouche était desséchée, leur corps inondé de sueur par la fatigue et par la chaleur du soleil.
Ils finirent d’un commun accord par se rendre en courant à un réservoir d’eau ; Bijen but et se levant avec peine, s’adressa à Dieu le dispensateur de tout bien, le corps tremblant de fatigue, comme la branche du saule tremble au moindre vent et le cœur désespérant de sa douce vie ; il dit à Dieu :
Ô Créateur, tu sais ce que j’ai fait en secret et en public ; si tu vois que ma cause est juste, que le droit est pour moi dans ce combat et dans les ellorts que nous faisons, ne m’enlève pas aujourd’hui mes atomes et conserve-moi mon sang-froid."
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021