Firoud apprit que la face brillante du soleil était obscurcie et que les pieds des dromadaires et des éléphants soulevaient une poussière qui roulait sur la terre comme les flots de la mer.
Tokhareh lui dit :
Ô jeune héros !
Si tu ne sais ce qui vient, apprends que c’est l’armée de ton frère qui se dirige du pays d’Iran vers le Touran pour venger ton père.
Elle marche sur Kelat, mais je ne sais où elle livrera bataille.
Lorsque le jeune homme, qui n’avait pas d’expérience, entendit ces paroles, son cœur se remplit de douleur et son esprit se troubla ;
Il ôta les barres qui fermaient la porte du château, sortit et fit le tour de la haute montagne ;
Il ordonna d’attacher tous ses chameaux, ses troupeaux de bétail et de chevaux qui erraient dans les pâturages, de n’en laisser aucun dans la montagne et dans la plaine, de leur faire prendre la route du mont Siped et de les conduire dans le district d’Anbouh.
Ensuite, il s’en retourna, referma la porte du château et s’assit sur un rempart escarpé.
Lorsque le son des trompettes commença à monter de Djerem jusqu’à lui et que le monde se couvrit d’une poussière noire comme l’ébène, qui venait du côté de Meyem, il aperçut Djerireh du haut du rempart et son cœur battit de terreur en pensant à cette armée.
Djerireh était la mère de Firoud et son âme ne cessait de regretter Siawusch.
Le jeune Firoud accourut auprès de sa mère et lui dit :
Ô reine des reines !
Il arrive de l’Iran une armée accompagnée d’éléphants et de timbales et conduite par le fier Thous.
Quelles précautions m’ordonnes-tu de prendre ?
Car il ne faut pas qu’elle puisse nous attaquer.
Djerireh lui dit :
Ô toi qui es toujours prêt pour le combat, puisses-tu ne voir jamais un jour plus malheureux que celui-ci !
Il y a dans l’Iran un nouveau roi, qui est ton frère, Keï Khosrou le prudent maître du monde ; il connaît bien ton nom et ta parenté, car vous venez du même sang et du même père, de Siawusch, qui était un roi comme la terre n’en a jamais vu et que le monde ne peut assez célébrer.
Piran m’a donnée à lui la première, car il ne voulait s’unir à aucune autre femme du pays de Touran.
Ainsi tu es de naissance illustre et royale, du côté du père et de la mère ; et quand ton frère entreprend de venger Siawusch et de glorifier ses mânes, il te convient de lui servir d’avant-garde, de saisir tes armes et de combattre.
Que ta poitrine se couvre donc d’une cuirasse de Roum, que ton cœur se gonfle d’impatience, que ta tête se remplisse d’ardeur !
Quand ton frère veut se venger de son grand-père, la bataille te sied mieux que la ruse ; car il faut que les léopards gémissent de notre deuil, que les crocodiles sortent de la mer en poussant des cris et que les oiseaux dans les airs et les poissons dans l’eau maudissent Afrasiab.
Jamais il n’y a eu dans le monde un roi aussi noble, aussi brave, aussi heureux, d’aussi haute naissance, aussi glorieux, aussi majestueux, aussi intelligent, aussi juste que Siawusch.
Toi, qui est fils d’un pareil roi, qui est de la famille des Keïanides et qui en as la mine, ceins-toi pour venger ton père, montre-toi digne de ta race et de ta naissance.
Va reconnaitre cette armée pour voir qui est leur chef, qui est le plus glorieux parmi ces grands.
Va et appelle tes braves ; étale sur les tables du palais des épées, des casques, des caparaçons, des cottes de mailles et des poignards indiens que tu donneras en présent.
Ton frère vaut bien toutes les richesses du monde ; ne laisse pas à un étranger la gloire de cette vengeance et la place due à ton rang ; mets-toi à la tête de cette armée ; tu es un jeune vengeur et Khosrou est un jeune roi.
Firoud répondit à sa mère :
À qui parmi eux faut-il que je m’adresse ?
Qui d’entre ces héros qui portent haut la tête doit être mon soutien au jour de la bataille ?
Je n’en connais aucun, pas même de nom, comment pourrais-je leur envoyer mes salutations et mes messages ?
Djerireh dit à son vaillant fils :
Quand tu verras de loin la poussière que soulève leur armée ; tâche de reconnaitre parmi ces braves un héros comme Bahram ou Zengueh fils de Schaweran, demande à quelles marques on peut distinguer ces deux guerriers, car ni toi ni moi ne devons avoir de secrets pour eux.
Puisses-tu vivre à jamais et glorieusement !
Puissent briller les mânes de Siawusch !
Bahram et Zengueh ne quittaient jamais ton père ; ils étaient de puissants seigneurs et lui était roi.
Pars avec Tokhareh, mais sans cortège et ne méprise pas mes conseils ;
Le vaillant Tokhareh t’indiquera les marques qui distinguent les héros et les braves au sujet desquels tu l’interrogeras, car il connaît les grands et les petits de l’Iran et te fera connaître les pâtres et les troupeaux.
Firoud lui répondit :
Ô ma mère chérie !
Tes conseils sont le salut de ta famille et de tous ceux qui t’entourent.
Une vedette, qui revenait de son poste, s’approcha de Firoud et lui annonça que l’armée des Iraniens remplissait la plaine, la vallée et la montagne, que le soleil était voilé par la poussière et qu’on ne voyait que drapeaux, éléphants et hommes de guerre, depuis le défilé qui menait au château jusqu’au bord du Gang.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021