Keï Kaous

Sohrab combat Gurdaferid

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Quand la fille de Guzdehem apprit que le chef de cette armée avait disparu, elle fut saisie de douleur et poussa un cri d’angoisse et un soupir sortit de sa poitrine.

C’était une femme qui ressemblait à un brave cavalier ; elle avait toujours été célèbre dans la guerre ; son nom était Gurdaferid et personne n’avait jamais vu d’homme combattre comme elle.

Le sort de Hedjir l’humilia tellement que les tulipes de ses joues devinrent noires comme de la suie.

Sans ; hésiter un instant elle se couvrit d’une armure de guerrier, cacha les tresses de ses cheveux sous sa cotte de mailles et ferma les boutons de son casque de Roum.

Elle descendit du château semblable à une lionne, ceinte au milieu du corps et montée sur un cheval aux pieds de vent.

Elle se présenta devant l’armée comme un homme de guerre et poussa un cri pareil au tonnerre qui éclate, disant :

Qui d’entre les braves et les guerriers, les hommes de cœur, les chefs pleins d’expérience, veut, comme un crocodile courageux, s’essayer à combattre contre moi ? »

Aucun des guerriers de cette armée orgueilleuse ne sortit des rangs pour la combattre ; mais lorsque Sohrab le vainqueur des lions la vit, il sourit, se mordit les lèvres et dit :

Voici encore un onagre dans le filet du maître de l’épée et de la force. »

Il se revêtit de sa cuirasse, mit à la hâte sur sa tête un casque de Roum et s’élança vers Gurdaferid.

La jeune fille exercée à lancer le lacet l’aperçut ; elle banda son arc, écarta les bras pour tirer et aucun oiseau n’aurait pu échapper à ses flèches.

Elle fit pleuvoir sur Sohrab une grêle de traits et l’assaillit à droite et à gauche comme font les cavaliers.

Sohrab la regarda et devint honteux ; il se fâcha et courut pour l’attaquer.

Il se couvrit la tête de son bouclier et fondit sur cette jeune fille qui cherchait le combat.

Elle vit son ennemi s’approcher comme une flamme qui s’élance, elle suspendit son arc par la corde à son bras et son cheval bondit jusqu’aux nues.

Elle tourna la pointe de sa lance vers Sohrab et secoua violemment les rênes de son cheval et sa lance.

Sohrab s’étonna et devint furieux comme un léopard, quand il vit que son ennemi usait de ruse dans le combat.

Il saisit les rênes et lança son cheval ; il arriva sur elle, semblable à Aderguschasp, tenant dans sa main la lance qui ôte la vie;et reculant le bras jusqu’à ce que la pointe se trouvât en arrière de son corps, il frappa Gurdaferid à la ceinture et déchirant entièrement sur son corps sa cotte de mailles, il la souleva de selle comme une balle qu’atteint la raquette.

Gnrdaferid se tordit au-dessus de la selle et tirant de sa ceinture une épée tranchante, elle en frappa la lance et la coupa en deux, puis elle se remit en selle et fit lever la poussière sous les pieds de son cheval.

Ce combat contre Sohrab ne lui plaisait pas, elle se détourna de lui et s’enfuit en toute hâte.

Mais le Sipehbed abandonna les rênes à son cheval, sa colère obscurcit le monde ; il la gagna de vitesse en poussant des cris, il la secoua et lui arracha le casque de la tête.

Les cheveux de Gurdaferid n’étaient plus retenus par la cotte de mailles, son visage brillait comme le soleil et Sohrab reconnut que c’était une fille dont la chevelure valait un diadème.

Il en fut étonné et se dit :

Si les filles des braves de l’Iran vont ainsi sur le champ de ba-æwille, les cavaliers de ce pays doivent au jour du 8

combat faire voler la poussière jusqu’au-dessus du ciel qui tourne. »

Il détacha du pommeau de la selle son lacet roulé, le lança et prit Gurdaferid au milieu du corps.

Il lui dit :

Ne cherche pas à m’échapper ; pourquoi as-tu recherché le combat, ô belle au visage de lune ?

Jamais semblable proie n’est tombée dans mes filets et tu ne m’échapperas pas de force. »

Alors Gurdaferid lui montra son visage découvert, car elle ne vit plus d’autre moyen de salut ; elle lui montra son visage et lui dit :

Ô brave qui ressembles au lion parmi les braves !

Les deux armées ont eu les yeux sur notre combat à la massue et à l’épée et sur notre lutte.

Maintenant que mon visage et mes cheveux sont découverts, toute l’armée rira de toi.

Ils diront : C’est donc pour combattre une femme qu’il s’est ainsi couvert de poussière sur le champ de bataille !

Il ne fallait pas y mettre dant de temps et déshonorer son nom.

Il vaut mieux que nous cachions cette aventure, car un homme puissant doit agir avec prudence.

Ne t’expose donc pas, au milieu de deux armées rangées en bataille, à rougir à cause de moi.

Maintenant nos troupes et le château sont à toi et il ne faut pas vouloir la guerre au moment de la paix.

Le château, le trésor et le châtelain seront à toi aussitôt qu’il te plaira de venir. »

En montrant ainsi ses joues à Sohrab, en lui montrant les perles de ses dents sous ses lèvres de jujubes, elle était comme un jardin du paradis et jamais Dihkan n’avait planté un cyprès de sa taille.

Ses deux yeux étaient comme les yeux de la gazelle, ses deux sourcils formaient un arc sous lequel on eût dit que s’épanouissait le ciel.

Sohrab lui dit :

Ne démens jamais les paroles que tu viens de prononcer, car tu m’as vu au jour du combat.

Ne mets pas l’espoir de ton cœur dans les murs de ce château, car ils ne sont pas plus hauts que la voûte du ciel ; les coups de ma massue les feraient écrouler ; ma lance et mes bras renverseraient ces bastions. »

Gurdaferid saisit les rênes et conduisit son cheval à la tête haute vers la forteresse ; elle se mit en route accompagnée par Sohrab et Guzdehem de son côté se dirigea vers la porte du château.

On l’ouvrit et Gurdaferid se traîna jusque dans le château, blessée et enchaînée.

On referma la porte et Gurdaferid trouva les siens dans la douleur, le cœur en souci, les yeux en larmes ; car le danger de Gurdaferid et le sort de Hedjir avaient attristé les jeunes et les vieux.

Guzdehem s’approcha de sa fille, entouré des grands et des guerriers et lui dit :

Ô ma courageuse fille, ô lionne !

Nos cœurs étaient pleins d’anxiété à cause de toi ; tu t’es jetée dans le combat, dans les ruses et dans les stratagèmes ; mais notre famille n’a pas à rougir de ta conduite.

Grâces soient rendues au maître du ciel sublime, de ce que ton ennemi ne t’a pas privée de la vie ! »

Gurdaferid rit beaucoup, puis elle monta sur le rempart et regarda l’armée des Iraniens ; elle aperçut Sohrab assis sur son cheval et lui cria :

Ô maître des Turcs et de la Chine !

Pourquoi te fatigues-tu ?

Retourne par où tu es venu et abandonne le champ de bataille. »

Sohrab lui répondit :

Ô fille au beau visage !

Je jure par le trône et la couronne, par la lune et le soleil, que je renverserai dans la poussière ces remparts et que je te saisirai, ô femme perfide !

Et alors quand tu seras sans ressource, quand tu te tordras en vain, tu te repentiras de ces paroles légères.

Mais le repentir ne te servira pas quand la voûte du ciel qui tourne aura broyé ton casque.

Qu’est devenu le traité que tu as fait avec moi ? »

Gurdaferid l’écouta en souriant et lui dit en se jouant de lui :

Les Turcs ne trouveront pas de femmes dans l’Iran.

Il est vrai que tu n’as pas eu de bonheur avec moi, mais ne t’afflige pas de cette mésaventure, d’autant que tu n’es pas un Turc ; tu es du nombre des héros illustres et avec cette force, ces bras, ces épaules et cette stature, tu ne trouveras jamais ton égal parmi les Pehlewans.

Mais quand le roi aura appris qu’un brave a amené une armée de Turcs, Rustem et lui se mettront en marche et vous ne pourrez tenir devant Tehemten.

Pas un homme de ton armée ne restera en vie et je ne sais quel malheur l’arrivera.

Hélas !

Faut-il que

de tels bras et une telle poitrine servent de pâture aux tigres !

Ne te fie pas trop à la force de tes bras, car la vache stupide mangera l’herbe qui croîtra sur ton corps.

Tu ferais mieux de suivre mon conseil et de t’en retourner dans le Touran. »

À ces mots, Sohrab fut honteux, car il s’en était peu fallu qu’il ne se rendit maître du château.

Il y avait au-dessous de la forteresse une plaine sur laquelle les remparts s’appuyaient ; Sohrab livra tout ce pays au pillage et anéantit d’un seul coup le pouvoir des méchants.

Ensuite, il dit :

Il est trop tard pour aujourd’hui et nous ne pouvons plus livrer bataille ; mais demain à l’aube du jour nous ferons voler en l’air la poussière de ce château, nous désolerons ce lieu par toutes les horreurs de la guerre. »

Il dit, secoua les rênes de son cheval et partit en prenant le chemin de son camp.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021