Il s’éleva un cri des villes du pays de Touran quand on apprit que Sohrab était mort dans le combat ; la nouvelle arriva au roi de Semengan et il déchira sur son corps tous ses vêtements.
La mère de Sohrab apprit que le héros avait été blessé par l’épée de son père et qu’il était mort ; elle se frappa de ses mains, elle déchira sa robe et son beau corps parut brillant comme un rubis.
Elle poussait des cris et des plaintes ; elle se désolait et par intervalles elle perdait la raison.
Elle roulait autour de ses doigts les boucles de ses cheveux qui ressemblaient à de brillants lacets et les arrachait de leur racine, in.
Des larmes de sang inondaient ses joues et par moments elle tombait par terre.
Elle jetait de la terre noire sur sa tête, elle déchirait avec ses dents toute la chair de ses bras, elle jetait du feu sur sa tête et brûlait son visage et ses cheveux noirs, en s’écriant :
Ô vie de ta mère, où es-tu maintenant ?
Mêlé avec la poussière.
Je tenais mes deux yeux fixés sur la route, disant en moi-même :
Je vais peut-être avoir des nouvelles de mon enfant et de Rustem.
C’était là mon espérance et je disais : Dans ce moment il fait le tour du monde ; il a cherché et trouvé son père et maintenant il se hâte de revenir.
Comment pouvais-je deviner, ô mon fils, que j’apprendrais que Rustems t’avait percé le cœur avec son poignard ?
Il n’a pas eu pitié de ton beau visage, de ta haute stature, de tes cheveux ; il n’a pas eu pitié de ce nombril qu’il a déchiré avec son épée.
Je t’ai élevé tendrement, te pressant sur mon sein pendant les jours et les longues nuits et maintenant tu es noyé dans le sang et un linceul est le vêtement de les bras et de ta poitrine.
Qui pourrai-je maintenant serrer dans mes bras ?
Qui est-ce qui me consolera dans mon deuil ?
Qui appellerai-je à ta place auprès de moi ? à qui dirai-je mes peines et la douleur que je ressens de ta perte ?
Hélas ton corps, ta vie, les yeux !
Hélas ce flambeau qui a été ravi aux palais et aux jardins et jeté dans la,poussière !
Tu as cherché ton père, ô lion soutien des armées ; et tu as trouvé sur ton chemin, au lieu de ton père, un tombeau.
Tu avais été plein d’espérance et l’infortune t’a jeté dans le désespoir et tu dors misérablement sous terre, avant celui qui a tiré son poignard et déchiré ta poitrine d’argent.
Pourquoi ne lui as-tu pas remis le gage que ta mère t’avait donné ?
Pourquoi ne lui en as-tu pas parlé ?
Ta mère t’avait dit à quelles marques tu reconnaîtrais ton père, pourquoi n’y as-tu pas cru ?
Maintenant la mère, privée de toi, reste captive, accablée de soucis et de douleur, de peines et de désespoir.
Pourquoi ne me suis-je pas mise en route avec toi ?
Car alors le soleil et la lune auraient tourné à ton gré.
Rustem m’aurait reconnue de loin et nous aurait reçus avec joie, ô mon fils !
Il n’aurait pas lancé son javelot contre toi ; il ne t’aurait pas fendu la poitrine, ô mon enfant ! »
Elle dit et s’emporta contre elle-même, s’arrachant les cheveux et frappant de ses mains son beau visage ; et ses lamentations et ses cris étaient. tels que toute créature eut les yeux pleins de larmes ; elle tomba par terre sans connaissance et ivre de douleur et le cœur de toutes les créatures se brisa de pitié pour elle ; elle tomba par terre comme morte ; tu aurais dit que son sang était glacé dans ses veines.
Elle reprit connaissance et recommença ses lamentations et ses plaintes sur la mort de son fils ; ses larmes mêlées au sangde son cœur devinrent cou-
Leur de rubis ; elle fit apporter le trône de Sohrab et pleura amèrement sur ce trône et cette couronne en s’écriant :
Ô rejeton d’un arbre royal ! »
Elle fit amener ce destrier aux pieds de vent qu’il avait aimé à monter dans les jours de joie ; elle pressa la tête du cheval contre sa poitrine et les hommes en restèrent étonnés ; elle le baisa tantôt à la tête, tantôt à la face ; elle frotta son visage et ses cheveux contre le sabot du cheval.
Elle fit apporter le vêtement royal de son fils et l’embrasse comme si c’eût été son enfant ; elle rougit le sol du sang de ses paupières ; elle se laissa tomber de douleur sur la terre et dans le sang ; elle prit la cotte de mailles, la cuirasse de cuir et l’arc, la lance, l’épée et la lourde massue.
Elle prit la bride d’or et le bouclier de son fils et se frappa le front avec la bride et le bouclier ; elle prit son lacet de quatre-vingts brasses et le saisissant par l’anneau, le jeta au loin ; elle prit la cuirasse de fer et le casque, en disant :
Ô lion avide de combats ! »
Elle tira l’épée de Sohrab, courut vers son cheval et lui coupa la queue, ensuite elle donna toutes ces richesses aux pauvres, l’or, l’argent et les chevaux caparaçonnés.
Elle ferma la porte du palais, brisa son trône et le jeta par terre comme une chose vile.
Elle noircit par le feu les portes du palais ; elle dévasta le palais et la salle d’audience ; elle détruisit cette belle demeure, parce que son fils était parti de ce lieu de plaisir pour aller à la guerre.
Elle se re- !
Vêtit d’un vêtement bleu, mais la couleur disparut sous le sang ; elle soupirait jour et nuit et pleurait et elle vécut encore une année après la mort de Sohrab.
À la fin elle mourut de douleur et son âme se rendit auprès de Sohrab le héros.
Bahram à la parole sage a dit :
N’attache pas ton cœur aux morts.
Tu ne resteras pas longtemps ici ; sois donc prêt et ne compte pas sur un délai.
Ton père a fixé un jour pour ton départ, sais-tu s’il n’est pas arrivé ?
C’est là son secret, qui ne peut être connu et tu n’en trouveras pas la clef que tu cherches étourdiment.
Personne ne sait ouvrir cette porte fermée et tu donnes ta vie au vent dans cette vaine recherche.
Et pourtant le sort qui nous emporte est le sort assigné par notre Seigneur.
N’attache pas ton cœur à ce séjour passager, car ce qui est passager ne peut te profiter beaucoup. »
Maintenant je finis ce conte et j’arrive à l’histoire de Siawusch ; c’est une histoire pleine de larmes et qui fera naître dans les cœurs tendres de la haine contre Rustem.
Dernière mise à jour : 28 déc. 2021