Keï Kaous

Guerre contre le roi du Hamaveran

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Je vais conter ce que j’ai appris d’un Mobed et d’un vieillard issu d’une famille de Dihkans.

La guerre du Mazenderan étant terminée, Kaous conçut le projet de faire le tour de son empire.

Il se rendit de l’Iran dans le Touran et à la Chine ; de là il passa dans le pays de Mekran.

Il quitta le Mekran, avec une année ornée comme une fiancée et le bruit des trompettes, des clairons et des timbales s’élevait dans l’air.

Tous les grands lui apportèrent des tributs et des redevances, car les taureaux n’osaient pas lutter contre le lion.

En continuant sa marche, il atteignit le pays de Berber et les grands s’avancèrent portant des couronnes et des diadèmes.

Le roi du Berberistan se préparait à la guerre ; le monde devint étroit pour la multitude de ses braves ; les troupes des Berbers sortirent de leur pays pour livrer bataille et mirent fin aux fêtes de l’armée de Kaous.

On ne voyait plus de mains ni de lances au milieu de la poussière qui enveloppait les montagnes.

Les troupes se jetaient l’une après l’autre dans la mêlée, comme les vagues qui s’élèvent au-dessus de la mer.

Quand Gouderz vit cet état de choses, il détacha du bouton de la selle sa massue pesante.

Il lança son cheval, lui et mille guerriers renommés, armés de javelots et de flèches qui percent les cuirasses ; il se précipita sur le centre de l’armée et le rompit et le roi s’enfuit devant lui en toute hâte.

Tu aurais dit que pas un cavalier Berber ne restait debout, qu’au milieu de la poussière, il n’y avait plus un seul homme armé d’une lance.

Aussitôt que les vieillards de la ville s’aperçurent que l’orage du combat se calmait, ils vinrent tous auprès de Kaous, le cœur brisé, reconnaissant leurs torts et disant :

Nous sommes les serviteurs et les esclaves du roi ; nous consentons à lui payer tribut ; nous lui donnerons, au lieu de pièces d’argent, des pièces d’or et des joyaux et nous comblerons encore son trésorier de nos actions de grâce.

Kaous leur pardonna et leur accorda sa faveur ; il leur traça une nouvelle voie et leur imposa une loi nouvelle.

Ensuite on entendit dans ce lieu le bruit des clochettes et des cymbales et le son des trompettes ; le roi quitta le pays de Barber et se dirigea vers la montagne de Kaf et vers l’orient.

Les peuples apprenant son arrivée, accoururent lui rendre hommage : tous les grands allèrent au-devant de lui et se soumirent à de lourds tributs et comme ils étaient prêts à lui obéir et à marcher dans sa voie, le roi passa avec son armée sans leur faire de mal.

Il mena ses braves dans le Zaboulistan, où il reçut l’hospitalité du fils de Zal.

Il resta un mois dans le Nimrouz, demandant tantôt du vin et de la musique, tantôt des faucons et des guépards de chasse.

Mais il ne put passer ainsi beaucoup de temps ; car dans un coin du jardin des roses croissaient des épines.

Personne n’est exempt d’épreuves et la chute attend l’homme au moment où il atteint le faîte du bonheur.

Or, tandis que les affaires du monde étaient si florissantes, les Arabes se révoltèrent.

Un homme de grande naissance, riche et ambitieux, leva son étendard en Égypte et en Syrie et le peuple se détournant de Kaous, s’éloigna avec dédain de la porte de la soumission.

Lorsque le roi du monde apprit qu’il avait un rival prétendant au pouvoir impérial, il fit battre les timbales et sortit du Nimrouz ; le roi qui illuminait le monde eut le cœur en joie ; les braves écrivirent son nom sur leurs boucliers et les épées s’agitèrent dans les fourreaux.

Il conduisit son armée de la plaine à la mer, du côté où ses ennemis avaient paru ; il prépara des vaisseaux sans nombre et se hâta d’embarquer ses troupes sur la mer.

Il traversa un espace qui ferait mille farsangs si on le mesurait ; il avança jusqu’à ce qu’il se trouvât au milieu de trois pays, cherchant ainsi sa fortune dans le monde.

À sa gauche était l’Égypte, à sa droite le pays de Berber et au milieu, du côté vers lequel il se dirigeait, la mer de Zereh, de sorte qu’il avait en face le pays de Hamaveran.

Dans chacun de ces pays se trouvait une armée puissante ; et les princes ayant appris que le roi Kaous arrivait avec ses troupes par la mer de Zereh, se concertèrent ensemble et envoyèrent leurs braves du côté du Berber.

C’est ainsi qu’une armée de héros se formait dans le Berberistan ; elle était telle que la mer, le désert et les montagnes tremblaient sous les pieds des chevaux.

Les lions ne trouvaient plus de lieu de repos et les éléphants ne trouvaient plus de chemin dans le désert.

Le léopard du haut de son rocher, le poisson dans la mer et l’aigle qui volait dans l’air cherchaient tous un chemin ; mais comment y aurait-il eu dans ces lieux un chemin pour les bêtes sauvages ?

Quand Kaous eut abordé avec son armée sur la terre ferme, personne au monde ne vit plus ni montagne ni plaine.

Tu aurais dit que la terre était composée d’armures et de cuirasses et que les étoiles empruntaient leur lumière aux pointes des lances.

Il y avait tant de casques d’or et de boucliers d’or, tant de haches d'armes brillantes appuyées sur les épaules des braves, que tu aurais dit que la terre était de l’or fluide et qu’il pleuvait des épées indiennes.

L’air ’était devenu couleur de sandaraque par la multitude des bonnets ; la terre tout entière était noire comme du bois d’ébène.

Le son des trompettes fendait les rochers, le sol pliait sous les pieds des chevaux et le bruit des tambours était tel dans le Berberistan que la terre ne paraissait être qu’un camp.

Les clairons et les timbales retentissaient dans l’armée de l’Iran ; Bahram, Gourguin et Thous sortirent des rangs ; et du côté où se tenaient Gouderz fils de Keschwad, Guiv, Schidousch et Ferhad, les guerriers jetèrent les rênes sur la crinière des chevaux et trempèrent dans le fiel la pointe de leurs lances.

Ils baissèrent la tête sur le bouton des selles ; on entendit des cris et les haches d’armes fendirent les armures ; tu aurais dit qu’elles brisaient des rochers et du fer, ou qu’on abattait le ciel sur la terre.

Kaous sortit du centre de son armée ; les deux partis s’approchèrent l’un de l’autre et le combat fut tel que les yeux des braves s’obscurcissaient et qu’il pleuvait du cinabre sur la terre noire ; tu aurais dit que l’air faisait tomber de la rosée et qu’il semait des tulipes sur les rochers.

Les yeux des braves lançaient du feu ; la terre devint comme une mer de sang ; et les trois armées furent traitées par les Iraniens de manière qu’elles ne distinguèrent plus la tête du milieu.

Le roi du Hamaveran fut le premier qui jeta son épée et sa lourde massue, s’abandonna à sa douleur, demanda pardon au roi et reconnut que ce jour était un jour de malheur.

Il promit de payer pour son pays un tribut et de grandes redevances et de livrer des chevaux et des armes, des trônes et des couronnes, si Kaous voulait se retirer après le paiement et ne pas faire occuper le pays par ses troupes.

Kaous écouta les paroles du messager et lui répondit :

Vous êtes tous sous ma protection, puisque vous ne cherchez plus à vous emparer de mon trône et de ma couronne.

Le roi retourna à ses tentes, lui et son armée, le cœur en joie d’avoir réussi ; et un messager du roi du Hamaveran se présenta chargé de trésors et d’armures.

Il apporta des émeraudes, de l’or et des joyaux, en disant :

Ô roi, distributeur de la justice !

Nous tous, grands et petits, sommes les esclaves et la poussière de tes pieds.

Puisses-tu être toujours heureux et victorieux !

Puissent la tête et la fortune de tes ennemis rester abaissées !

Il dit et baisa la terre, puis il se rendit chez le Sipehdar Thous et étala devant lui beaucoup d’or et de pierreries qu’il distribua entre tous les braves, grands et petits.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021