Lorsque l’aurore leva sa tête au-dcssus de la montagne et que le bouclier brillant du soleil parut au loin, le Sipehbed se rendit chez le roi d’Iran et se prosterna par terre en présence de la foule, disant :
J’étais un homme sans prétentions ; par ta grâce, n-je suis devenu le diadème du monde.
J’ai une demande à faire au roi, c’est qu’il envoie avec moi un homme de sa confiance, pour qu’il lui écrive in dans ses lettres le nom de ceux qui se seront battus bravement et auront jeté dans la poussière la tête et d’un ennemi, de sorte que ces braves puissent obtenir l’objet de leur désir dans le monde. »
Le roi répondit :
Le vieux Mihran est un homme puissant, qui sait parler et observer,»
Et il ordonna à Mihran d’accompagner le Sipehbed, de quitter en toute hâte son palais et de partir pour la guerre.
L’armée se mit en marche du pays de Thisifoun (Ctésiphon), Sous le commandement de Bahram : c’était une armée intelligente, brave et vaillante et un chef qui portait haut la tête comme un lion mâle.
Bahram étant parti, le roi rentra au palais et con ! »
Hà féra en secret avec son Grand Mobed.
Il dit :
Cet homme sera heureux et souriant au jour du combat.
Mais que dis-tu sur ce qui arrivera après ?
Il faut que nous en parlions. »
Le Mobed répondit :
Puissestu vivre éternellement !
Car tu mérites une vie sans fin.
Il est impossible qu’avec cette force et cette stature, avec cette parole âpre et pleine de perspica-cité, ce Pehlewan ne soit pas heureux et victorieux et qu’il ne rende pas sa prospérité à notre monde, qui était devenu stérile.
Je crains seulement qu’à la fin il ne se révolte contre le roi qui l’a élevé, car il a parlé bien hardiment et a montré sa nature de lion en s’adressant au roi. »
Hormuzd lui dit :
Ne gâte pas le bézoard en y mêlant le poison de la malveillance du sort.
S’il est vainqueur du roi Saweh, je lui abandonnerai peut-être la couronne et le trône.
Qu’il reste comme il est et qu’il ne change pas, car il serait un roi glorieux. »
Le Mobed pâlit à ces paroles du roi et se mordit les lèvres ; mais le roi n’oublia pas cette conversation et lorsqu’un peu de temps se fut passé, il choisit dans sa cour un de ses confidents, car il voulait apprendre toute la vérité.
Il lui dit :
Rends-toi en toute hâte auprès du Pehlewan et fais-moi savoir ce que tu auras observé. »
L’émissaire partità l’instant sur les traces de Bahram, sans que personne connût sa mission.
C’était un guide expert qui interprétait les présages et prédisait au roi la fin de toute affaire.
Or il arriva que Bahram, une fois hors de Thisifoun et marchant à la tête de l’armée, la lance en main, rencontra sur la route un marchand de têtes de mouton.
L’homme était encore loin du chef de l’armée et tenait un beau panier couvert, d’où sortaient beaucoup de têtes, lorsque le Sipehbed poussa son cheval et, ô merveille !
Enleva avec la pointe de sa lance une de ces têtes et courut ainsi jusqu’à ce qu’il eût relevé droit sa lance ; puis il jeta la tête où il voulait.
Tout en cheminant, il en fit un présage et dit :
C’est ainsi que j’enlèverai la tête de Saweh, je la jetterai sur la route devant ses troupes et je détruirai toute son armée. »
L’émissaire du roi vit tout cela et en tira aussi un augure selon les règles, disant :
Cet homme à la fortune victorieuse se rendra à la fin de ses peines maître d’un trône, puis, quand il aura atteint l’objet de ses désirs, il se détachera du roi et lui résistera. »
Il se rendit chez le ’ roi et lui raconta ce qui s’était passé et le maître du monde en fut rempli de peine et d’inquiétude.
Cette parole était plus amère pour lui que la mort, il en dépérit et cette feuille verte se noircit.
Il choisit pour messager un jeune homme de la cour, l’envoya en toute hâte auprès du Pehlewan et lui dit :
Va auprès du Sipehbed et dis-lui :
Ne t’avance pas cette nuit au-delà du point où tu te trouves, reviens au grand malin et entre chez a moi ; je renverrai de la salle tous les étrangers, ln.
car je veux te donner tous les conseils dont tu as besoin et je me suis souvenu de beaucoup de choses utiles ale dire. »
Le jeune messager se rendit auprès du Pehlewan et lui répéta ce qu’on lui avait dit ; mais Bahram répondit :
Ô roi intelligent !
On ne fait pas revenir une armée qui est en marche.
Rétrograder serait de mauvais augure et les ennemis, en l’apprenant, reprendraient courage.
Quand je serai victorieux, je reviendrai auprès de toi et ton pays et ton armée brilleront glorieusement. »
L’envoyé s’en retourna et rapporta la réponse de ce fidèle serviteur au roi, qui en fut content et la peine de l’émissaire était en pure Le Sipehbed mit le lendemain matin l’armée mouvement et appela sur elle la bénédiction de Dieu.
Il marcha jusqu’à la province du Khouzistan, perte. tsans que personne eût à souffrir du passage des troupes.
Là une femme chargée d’un sac rempli de paille traversa l’armée ; un cavalier s’approcha et acheta le sac, mais ne le paya pas et s’éloigne.
La femme courut auprès de Bahram, poussant des cris et disant :
J’ai en cachette un peu de paille ; j’avais compté sur le produit d’un sac et je le portais à ton armée, lorsqu’un cavalier, la tête couverte d’un casque de fer, me l’a pris sur la route. »
On rechercha à l’instant cet homme et on le traîna en toute hâte devant le Sipehbed.
Le vaillant Bahram A dit à celui qui avait enlevé la paille :
Tu as donc cru que c’était si peu de chose ? »
Il le lit transporter en courant hors de l’enceinte de ses tentes, lui fit briser la tête, les pieds et les mains, le fit couper en deux avec une épée et remplit ainsi de terreur les cœurs des malfaiteurs.
Puis, il fit proclamer sous la porte de l’enceinte de ses tentes : Ô hommes illustres et de bonnes intentions !
Quiconque prend à quelqu’un un brin de paille, ne trouvera pas de défenseur, je le ferai couper en deux avec l’épée.
Achetez avec de l’argent ce qu’il vous faut. »
L’armée continua sa marche sans causer de dommage et tous les lieux, qu’ils fussent sur la route ou écartés, étaient sous sa protection.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021