Ils prirent leurs arcs et leurs flèches en bois de peuplier, et le soleil en perdit son éclat;
Il sortait du feu des pointes de leurs flèches;
Ils se clouèrent leurs cottes de mailles sur la poitrine.
Le cœur d’Isfendiar était gonflé de sang, ses sourcils et son visage étaient froncés;
Quand il saisissait ses flèches et son arc, personne ne pouvait lui échapper;
Il prit alors un arc tel que le soleil en pâlit, et des traits aux pointes d’acier qui traversaient une cotte de mailles comme du papier.
Il lança soixante flèches qui toutes blessèrent Rustem et le vaillant Raksch, et pendant ce temps il tournait en cercle autour de lui, en sorte que les traits de Rustem ne le touchaient pas.
Ses flèches frappaient Rustem à mesure que sa main les faisait partir;
Mais celles que lançait Rustem ne lui firent aucun mal, et Rustem, se trouvant impuissant dans cette lutte, s’écria à la fin:
Cet Isfendiar est certainement le héros au corps d’airain.
Le corps de Raksch s’affaiblissait sous ces blessures, et ni le destrier ni le héros ne pouvaient plus se soutenir;
Le cheval et le cavalier étaient hors de combat, lorsque Rustem, qui paraissait perdu, s’avisa d’un moyen de salut.
Il sauta à bas de Raksch, rapide comme le vent, et tourna sa noble tête vers le sommet de la montagne;
Pendant ce temps le brillant Raksch s’en retourna au palais et se sépara ainsi de son maître.
Le sang coulait le long du corps de Rustem, et cet homme, qui ressemblait au mont Bisoutoun, était faible et tremblait.
Isfendiar se mit à rire quand il l’aperçut, et dit:
Ô prince illustre! comment la force de l’éléphant ivre t’a-t-elle donc fait défaut, comment la montagne de fer a-t-elle pu être percée par des flèches?
Que sont donc devenues ta bravoure et ta massue, ta vigueur et ta tenue majestueuse dans le combat?
Pourquoi t’es-tu réfugié sur le haut de la montagne quand tu as entendu la voix du lion furieux?
Pourquoi le lion de la guerre s’est-il fait renard, pourquoi se retire-t-il ainsi de la lutte?
C’est donc toi qui as fait pleurer le Div, qui as brûlé les bêtes fauves des flammes de ton épée ?
Zewareh vit les traces du destrier brillant de Rustem, qui, malgré ses blessures, avait traversé la rivière.
Le monde devint sombre devant ses yeux par l’excès de son inquiétude, et il se précipita en poussant des cris sur le lieu du combat;
il y trouva son frère grièvement blessé et vit qu’aucune de ses blessures n’était pansée; il lui dit:
Lève-toi, monte sur mon cheval, je vais revêtir la cuirasse pour te venger.
Rustem lui répondit:
Va auprès de Destan et dis-lui que la gloire de la race de Sam a péri;
Prie-le de voir s’il y a un remède à ce malheur, s’il y a un secret pour guérir ces blessures;
car, ô Zal, je sais bien que, si je survis cette fois aux flèches d’Isfendiar, c’est comme si j’étais né aujourd’hui de ma mère.
Quand tu seras arrivé, tâche de sauver Raksch;
Moi je vais te suivre, mais ce sera lentement.
Zewareh quitta son frère et courut en suivant Raksch des yeux.
Isfendiar, qui était resté en bas, se mit à crier:
Ô illustre Rustem! tu restes bien longtemps là-haut!
Qui va donc venir à ton aide?
Jette ton arc, ôte ta cuirasse de peau de léopard, défais ta ceinture, repens-toi, laisse lier tes mains, et alors je ne te ferai plus de mal, je te mènerai auprès du roi, blessé comme tu es, et te ferai pardonner tout ce que tu as fait.
Mais si tu veux encore combattre, énonce tes dernières volontés, nomme quelqu’un gouverneur de ce pays, demande pardon à Dieu des péchés que tu as commis: il est possible qu’il te les remette, si tu es contrit, et j’espère que Dieu le très-juste voudra être ton guide, car tu vas quitter cette demeure passagère.
Rustem répondit:
Il est tard, on ne peut plus se battre à cette heure;
Puisque tu es si content ce soir, rentre chez toi;
Qui voudrait combattre pendant la nuit noire?
Moi aussi je vais partir pour mon palais, pour me reposer et respirer un peu.
Je vais panser mes blessures, j’appellerai auprès de moi tous les miens, Zewareh, Faramourz, Destan, le fils de Sam, et tous ceux de mes parents qui ont un nom glorieux, et je me préparerai à faire ce que tu m’ordonneras, car tout est loyal dans une convention. avec toi.
Isfendiar au corps d’airain lui dit:
Ô vieillard volontaire et absurde! tu es un homme puissant et vaillant, tu connais beaucoup d’expédients, d’artifices et de moyens d’échapper.
Je vois ta ruse, tu ne veux pas que je m’aperçoive du mauvais état dans lequel tu te trouves.
Je te fais grâce de la vie pour cette nuit;
Ne te laisse pas tenter par des voies tortueuses, accomplis tout ce que tu m’as promis, et ne m’adresse plus de vains discours.
Rustem répondit:
Je ferai en sorte de trouver un baume pour mes blessures.
Il le quitta, et Isfendiar le suivit des yeux pour voir comment le héros marcherait.
Rustem traversa la rivière, semblable à un vaisseau, invoqua sur son corps les bénédictions de Dieu, et adressa au juge suprême ces paroles:
Si je meurs de mes blessures, qui parmi les grands voudra me venger, qui voudra imiter mon courage, ma sagesse et ma conduite ?
Isfendiar le suivit des yeux, le vit arriver sur l’autre rive, et dit:
Il ne faut pas appeler Rustem un homme, c’est un éléphant furieux et d’une grande puissance.
Il a traversé l’eau, malgré ses plaies, et ces terribles blessures de mes flèches n’ont fait que hâter sa marche.
Isfendiar resta pondant quelque temps dans son étonnement, puis il dit en s’adressant au Juge tout-puissant:
Tu l’as créé tel que tu l’as voulu, c’est toi qui as ordonné l’univers.
Quand Isfendiar fut de retour, il entendit des cris qui partaient de ses tentes;
Beschouten s’avança;
La mort du vaillant Nousch-Ader et de Mihri-Nousch l’avait rempli de douleur et de colère;
La tente du roi était pleine de poussière, et tous les vêtements des grands étaient déchirés.
Isfendiar descendit de son destrier et serra contre sa poitrine la tête des morts en s’écriant tristement:
Ô mes deux vaillants enfants, la vie a donc quitté vos corps!
Ensuite il dit à Beschouten:
Lève-toi, et ne verse pas des larmes de sang sur ces morts.
Je ne vois pas le bien que produisent les larmes, et il ne faut pas s’attacher à la vie.
Nous tous, jeunes et vieux, appartenons à la mort : puisse la raison nous aider à mourir comme il convient!
Il envoya ses fils au maître du trône, dans des cercueils d’or et portés sur des brancards d’ébène, et fit dire à son père:
Voici les fruits que tes machinations commencent à porter.
Tu as lancé dans l’eau un vaisseau, tu as exigé de Rustem un acte de servitude: mais quand tu auras vu les cercueils de Nousch-Ader et de Mihri-Nousch, tu cesseras de prêter l’oreille aux conseils de Djamasp.
Isfendiar vit encore, mais je ne sais quel fruit le sort lui réserve.
Tu es assis sur le trône des délices, et lui se consume dans sa douleur;
Mais le trône et ses délices ne te resteront pas toujours!
Il s’assit sur son trône, dans son deuil et dans sa douleur, et se mit à parler de Rustem en disant à Beschouten:
Le lion recule devant la main de l’homme vaillant.
J’ai regardé aujourd’hui Rustem.
j’ai observé la force et la stature de cet homme au corps d’éléphant, et j’ai béni Dieu, le très-saint, de qui viennent l’espérance et la terreur, de ce qu’il a, créé Rustem tel qu’il est.
Adore celui qui a créé le monde!
Cet homme, dont les mains ont accompli tant de hauts faits, qui a jeté son filet dans la mer de la Chine et en a tiré des crocodiles, qui a saisi sur la plaine la queue des léopards, je l’ai blessé aujourd’hui avec mes flèches de manière que son sang a changé la terre en un lac.
Il est descendu à pied de la montagne, après avoir fait une convention avec moi, a couru vers le Hirmend, chargé de sa cuirasse et de son épée, et a traversé l’eau malgré ses blessures, et le corps couvert des fers de mes flèches.
Je crois que lorsqu’il aura atteint son palais, son âme se sera envolée vers Saturne.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021