Les Missionnaires envoyés par Guschtasp, dans plusieurs Provinces de l'Iran, portèrent bientôt jusqu’aux Indes le bruit de la réforme de Zoroastre.
Il y avait alors dans ces contrées un Brahme du premier mérite, habile dans toutes les Sciences, sous qui les Sages du Monde s’étaient formés, & dont les Livres étaient fort connus dans l'Iran.
Il se nommait Tchengréghatchah.
Ce Brahme ayant appris qu'un inconnu avait perverti le Roi de l’Iran, ses Ministres & tout le Pays, se disant envoyé de Dieu, écrivit à Guschtasp avec le zèle d’un homme qui se croit chargé de soutenir la vérité.
La lettre de Tchengréghatchah commença par le nom du Dieu Tout-puissant, qui a sous ses pieds la révolution du Ciel, qui a créé le corps & l’âme de l’homme.
Il continua ensuite :
Ô Roi illustre, j’ai appris une nouvelle qui me pénètre de douleur, & qui m’ôte le sommeil.
Un imposteur, un hypocrite, a séduit l’Iran: ce qui est arrivé, ni sous Feridoun, ni sous Kobad, ni sous Djemschid, ni sous Kaous.
Les iraniens se sont livrés à un homme 2, & ont adopté le mensonge.
Ce qui me surprends le plus, c’est la conduite de Djamasp qui a été ministre du roi Lohrasp.
Il a pris mes leçons pendant plusieurs années.
Je ne lui ai rien caché de ce que je savais.
Lui qui devait préserver les autres de la séduction, est tombé lui-même dans le filet.
Je ne sais quel piège on lui a tendu, comment la force l’a abandonné, comment il est resté muet ignominieusement.
Tchengréghatchah conseilla ensuite à Guschtasp de ne pas se laisser prendre aux prestiges de l'imposteur, ni à ses belles paroles.
Il ajouta:
J'irai moi-même le convaincre de faux, & je répondrai à tout ce qu'il dira.
Il convient que vous vous assuriez de lui, ô grand Roi, jusqu'à mon arrivée; & lorsque j'aurai couvert de honte ce fourbe, je vous prierai de le faire punir, pour que personne n'ait dans la fuite la hardiesse de tromper les Peuples par des Lois fausses & nouvelles.
Djamasp était près de Guschtasp, lorsque la lettre de Tchengréghatchah arriva.
Les Secrétaires la lurent.
Ce Prince dit à son Ministre:
Personne n'est plus au fait que vous; examinez ce que dit Tchengréghatchah, & répondez-lui comme il convient.
Djamasp lui répondit:
Je suis inébranlable dans la Loi excellente que j'ai embrassée: je crois à parole de Dieu.
Un homme ne peut savoir de lui-même ce que sait Zoroastre, ni faire les miracles qu'il a faits;
il faut que Dieu l'ait instruit.
Mais je soutiens aussi, ô grand Roi, qu'il n'y a personne au Monde dont la science égale celle de Tchengréghatchah.
J'ai lû ses Livres;
j'ai quitté l‘Iran pour le retrouver dans l'Indoustan: il m'a formé à toutes les Sciences.
Je crois donc qu’il faut l’inviter avec bonté à venir dans l’Iran pour qu’il embrasse la Loi, & que cet évènement, répandu dans le monde entier, dissipe tous les doutes.
La réponse fut conçue en ces termes:
Nous avons reçu votre lettre polie & instructive.
Ce que vous avez appris de Zoroastre est vrai.
Nous avons embrassé sa Loi.
Nous vous faisons savoir que nous nous sommes rendus à la science & à l'habileté de Zoroastre.
Il a fait en notre présence des miracles incroyables.
Nous avons entendu ses paroles, lu ses Livres, & personne n’a pu rien y opposer.
Nous avons fait venir des savants de tous les pays, & tous ont été obligés de céder à la sagesse de ses réponses.
Les Grands de l'Iran ont renoncé à l'envie, & embrassé sa Loi, en disant: un homme ne peut apprendre de lui-même de telles choses; il faut reconnaitre ici la voix de Dieu.
Si cela vous fait quelque peine, venez vous-même ici: nous vous offrons pour la route tous les secours qui vous seront nécessaires, persuadés que, quand vous serez devant Zoroastre, vous serez vous-même étonné de la profondeur de sa science.
Lorsque vous lirez cette lettre, pesez bien ce qu’elle renferme.
Que Dieu vous ait en sa garde, & remplisse tous vos souhaits.
Cette lettre combla de joie Tchengréghatchah.
Il se mit à lire une multitude de Livres, & à chercher ce qu’il pouvait avoir jamais dit ou entendu;
Il rassembla les questions les plus difficiles, & employa à ce travail deux ans entiers, sans dormir ni jour ni nuit.
Il écrivit ensuite aux savants de l’Indoustan, & les appela près de lui.
Il leur apprit ce qui était arrivé dans l'Iran, leur parla de Zoroastre, de la lettre qu’il avait écrite au Roi, de la réponse qu’il en avait reçue; il leur marqua que depuis deux ans il ne s’était pas donné un moment de repos, & qu’il avait des questions auxquelles la vie d’un homme ne fournirait pas de réponses.
Mais, ajouta-t-il, je ne les ferai qu’en présence du Roi; il désire de me voir.
Préparez-vous comme des lions à m’accompagner, car il faut que j’aille dans l’Iran: ne vous inquiétez pas des frais du voyage, cela me regarde.
Que les hommes de l’Iran, & les étrangers chez qui cette Loi pourrait parvenir, sachent que la vraie science est dans l’Indoustan, & que personne n’est Sage devant moi.
Je veux étonner, par mes merveilles, l’Iran et Zoroastre lui-même.
Les savants de l'Indoustan promirent à Tchengréghatchah de le suivre; & ce Brahme expédia en conséquence un courrier à Guschtasp, par lequel il l'informait de son départ:
Appelez les Sages de l'Iran & des pays étrangers.
Qu'ils s'assemblent tous auprès de vous avec les Grands de l'Empire.
Je me rends aux pieds de votre Trône, pour répondre aux questions de Zoroastre, & purifier les cœurs de l'erreur.
Guschtasp ayant reçu cette lettre, la remit à Djamasp son Ministre: on dépêcha sur le champ des courriers de tous les côtés; & les savants se rendirent à Balkh.
Quelque temps après, Tchengréghatchah arriva dans cette ville, & passa sept jours à se reposer: le huitième, il se présenta devant le Roi, lui adressa des vœux, & demanda la permission de parler.
Guschtasp s’assit sur un Trône au milieu de la Place, qui était remplie de peuple & de savants de toute espèce & de toute nation.
Ce Prince leur dit:
Il n'est pas question de combattre ici avec la lance, ni avec envie.
Les prodiges, les questions, les paroles, voilà les armes qu’on doit employer pour dissiper les doutes.
Il ordonna ensuite d'apporter deux Trônes d’or, l'un pour Tchengréghatchah, & l'autre pour Zoroastre, dont le visage éclatant de lumière attirait les regards de tous les Sages.
Alors Tchengréghatchah se leva, & dit:
Ô Roi juste, nous nous sommes convenus de deux choses:
la première que je ferai des questions à cet homme, qui prétend être Prophète; & que, s’il me répond, j'embrasserai sa Loi & la ferai recevoir aux amis que j'ai dans l’Indoustan;
la deuxième, que, s’il ne peut résoudre mes questions, vous le punirez sur le champ.
Guschtasp lui répondit:
Je suis disposé à suivre ce que m'enseigneront les prodiges.
Parlez devant moi, faites des choses merveilleuses, dites tout ce qui est à votre avantage, je ne montrerai de prévention pour personne.
Zoroastre entendant ces paroles, se leva, & dit à Tchengréghatchah:
Je vais faire un nouveau prodige en faveur de ma Loi devant le Chef des Nations.
Les Peuples m'ont déjà entendu, prêtez de même l'oreille à cette parole.
Écoutez-moi lire un des Nosks que j'ai reçus de Dieu, ou, si vous le trouvez plus à propos, faites-le lire par quelqu'un de vos Disciples.
Je vous l’expliquerai ensuite en présence du Roi, & vous pouvez après cela me demander ce que vous voudrez.
Les Sages écoutèrent attentivement la lecture du Nosk de l’Avesta : ce Nosk commencait par l'éloge de Tchengréghatchah.
Ce Nosk contenait ensuite les réponses à tout ce que Tchengréghatchah avait médité et recherché avec beaucoup de peine pendant deux ans.
La lecture étant achevée, Tchengréghatchah, hors de lui-même, s’écria:
Comment!
Moi qui suis parvenu à la vieillesse, tout ce que Dieu m'a enseigné depuis mon enfance jusqu'à présent, l’Avesta me l'a présenté devant les yeux!
Quelle est la science qui peut avoir découvert ce secret?
Et ce que j’ai pensé pendant deux ans, ces questions qui m’ont couté tant de peines, auxquelles je croyais qu’on ne pourrait répondre en 100 ans, je ne les ai révélées à personne.
Ô Roi célèbre, j’en ai été occupé pendant toute la route; & lorsque les savants étaient en ma présence, étonnées de ma sagesse, aucun d’eux n’osait ouvrir la bouche.
Maintenant cet Écolier vient de lire ces questions & les réponses que l’on peut y faire.
Je confesse que cela est au-dessus de l’homme;
je reconnais là l’œuvre de Dieu.
Alors Tchengréghatchah assura qu’il embrassait la Loi, qu’il croyait à l’Avesta apporté par Zoroastre Espenteman, & que toute sa vie serait employée en bonnes œuvres.
Il adressa ensuite sa prière à Ormuzd, & lui demanda la pureté du corps, celle de l’âme, & dans le Ciel une place distinguée.
La conversion de Tchengréghatchah occasionna une fête de sept jours.
Le Roi & les Grands de sa Cour y prirent part.
Zoroastre embrassa ce Brahme, lui donna une copie de l’Avesta; & le bruit de cet évènement s'étant répandu de tous côtés, contribua beaucoup à accréditer la réforme du Législateur.
Tant que Tchengréghatchah vécut, il fut attaché à Zoroastre, ne s’occupant que de l’Avesta.
Son zèle alla plus loin: il représenta ce qui s'était passé, aux Brahmes qui l'avaient suivi dans l'Iran, & les engagea à l’imiter.
Ceux qui le reconnaissaient pour leur Maître, le voyant persuadé, suivirent son exemple; ils confessèrent leurs péchés, & firent profession de la Loi de Zoroastre au nombre de plus de 80 000 Sages & Chefs de l'Inde, du Sind, & de plusieurs autres Royaumes.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021