Lorsque ce livre tomba entre mes mains, il me manquait un mois pour avoir soixante ans. J’examinai ces vers, et ils me parurent faibles; bien des distiques me semblèrent mal faits, mais je les ai copiés ici, pour que le roi voie ce qu’est un récit dépourvu d’art.
Le joaillier apporte ici deux joyaux; que le roi veuille prêter l’oreille à ses paroles.
Si l’on est réduit à raconter de cette façon, il vaut mieux se taire et ne pas fatiguer son esprit;
Quand on pense à la fatigue de l’esprit et du corps qu’on s’impose, il vaut mieux ne pas creuser une mine où l’on ne doit pas trouver de pierres fines;
Quand le talent n’égale pas l’élan, il est plus sage de ne pas entreprendre un livre des rois, et quand il faut que la bouche reste vide de nourriture, il vaut mieux ne pas dresser une table dépourvue de mets.
J’avais trouvé un livre plein d’histoires, et dont les paroles étaient graves et vraies; c’étaient des traditions anciennes écrites en prose, et les hommes de talent étaient bien loin de l’idée de les mettre en vers; personne n’y songeait, et mon cœur enchanté se mit à y penser.
Deux mille ans avaient passé sur ce livre, si les recherches ont indiqué le nombre véritable. Je bénissais donc le poète (Dakiki) qui avait donné l’exemple de le mettre en vers; il est vrai qu’il n’en avait rimé que peu, un récit de fêtes et de batailles entre mille; néanmoins il avait montré aux poètes le chemin pour mettre sur son trône cette royauté.
Il avait reçu des princes des honneurs et des trésors, et ce n’étaient que ses mauvaises passions qui lui avaient attiré des peines.
Il avait célébré les rois et orné par ses louanges le front des hommes illustres comme un diadème; mais sa parole poétique était faible, et il ne réussit pas à rajeunir les temps antiques.
Je me suis emparé avec bonheur de ce livre comme d’un présage de fortune, et je lui ai consacré mon travail pendant bien des années; mais je ne voyais pas d’homme éminent, généreux et brillant sur le trône des rois: mon poème devint pour moi un souci contre lequel je n’avais d’autre remède que le silence.
Je voyais un jardin plein d’arbres, un lieu digne de servir de résidence à un homme fortuné, mais nulle part on n’y voyait une porte; il ne portait d’autre parure que le nom de la royauté; il me fallait une entrée digne du jardin, et si elle eût été étroite, elle ne m’aurait pas convenu.
J’ai gardé mon poème pendant vingt ans, jusqu’à ce que j’aie trouvé quelqu’un qui fût digne de ce trésor.
A la fin Aboul Kasim, le maître du monde, lui qui a rajeuni la couronne des rois des rois, le puissant Mahmoud, le majestueux, le généreux, auquel la lune et Saturne rendent hommage, est venu et s’est assis sur le trône de la justice.
Qui a souvenir d’un maître de la terre comme lui?
Son nom est devenu la couronne sur le front de mon œuvre, et sa gloire a rendu mon cœur sombre brillant comme l’ivoire; jamais, depuis que le monde existe, il n’y a eu de prince comparable à lui en générosité, en sagesse, en gloire et en bravoure; il dépasse tous les rois anciens, et il ne s’élève pas un souffle de blâme contre ses actions.
L’argent n’est à ses yeux que de la poussière;
Il ne craint ni les fêtes ni les combats;
Au temps des fêtes il donne de l’or, au temps des combats, des coups d’épée, et jamais il ne refuse ni l’un ni les autres à ceux qui les recherchent.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021