Aussitôt que le roi, maître du monde, eut entendu ce message de ses deux fils aux intentions sinistres, il répondit au noble messager point pour point :
Comment pourrais-tu cacher le soleil ?
Et le secret de ces deux méchants est devenu plus clair que le soleil.
J’ai écouté toutes les paroles que tu m’as dites, écoute la réponse complète que je te donne.
Dis à ces deux hommes sans honte et sans crainte de Dieu, à ces hommes injustes, de vile nature et impurs, que leurs discours perfides ne serviront à rien.
Je te dirai là-dessus quelques paroles.
S’il s’est élevé dans vos cœurs un si grand amour pour Minoutchehr, où est donc le corps d’Iredj, votre frère glorieux, que vous avez fait disparaître dans la gueule des bêtes féroces, dont vous avez enfermé la tête dans un coffre étroit ?
Maintenant qu’ils se sont délivrés d’Iredj, ils cherchent le sang de Minoutchehr.
Mais vous ne le verrez qu’avec une armée, avec un casque d’acier, une massue et l’étendard de Kaweh ; avec des chevaux dont les fers noirciront la terre et avec des chefs de guerre comme Karen, avide de combats ; comme Schapour, fils de Nestouh, le soutien de l’armée ; à côté de lui se trouveront Schidousch le valeureux, Schiroui le vainqueur du lion, le guide, le roi Teliman et Serv le chef de Iemen, qui sera à la tête de l’armée et qui lui donnera ses conseils.
Nous arroserons avec du sang les feuilles et les fruits de l’arbre né de la vengeance qui est due à Iredj.
Jusqu’à ce jour personne n’avait cherché à le venger, parce que nous n’étions pas sûrs que le sort nous soutiendrait.
Il ne convenait pas que moi j’étendisse la main pour combattre mes deux fils ; mais il s’est élevé, plein de force et de fruit, un rejeton de l’arbre que l’ennemi avait arraché ; il viendra maintenant comme un lion furieux et ceint étroitement pour la vengeance de son père ; il viendra avec les grands de son armée, comme Sam, le fils de Neriman et Guerschasp, le fils de Djemschid et avec une armée qui s’étendra d’une montagne à l’autre et dont les pieds fouleront la terre.
Ensuite, quant à ce qu’ils disent qu’il faut que le roi lave son cœur du désir de la vengeance et pardonne leur crime, parce que c’est ainsi que la rotation des sphères les a guidés, que leur intelligence a été troublée et que le soleil s’est obscurci, j’ai écouté toutes ces demandes inutiles de pardon.
L’implacable maître du monde a dit que quiconque a semé la semence de l’injustice, ne verra ni un jour de bonheur ni les délices du paradis.
S’il est vrai que Dieu le saint vous ait pardonné, pourquoi le sang de votre frère vous inspire-t-il de la crainte ?
Tout homme qui a de l’intelligence, tient pour coupable d’un crime celui qui fait valoir des excuses.
N’avez-vous pas de honte devant le glorieux maître du monde, d’avoir le cœur noir et la langue pleine de paroles douces ?
Vous serez punis de votre crime dans les deux mondes, par Dieu le juste, le maître unique.
Enfin ils ont envoyé un trône d’ivoire et une couronne de turquoises sur le dos de ces éléphants furieux ; et pour ces monceaux de joyaux colorés, j’abandonnerais ma vengeance ?
J’effacerais le sang qu’ils ont versé ?
Je vendrais pour de l’or la tête de mon royal fils ?
Périsse plutôt ma couronne, périsse mon trône et mon pouvoir !
Peut-être un homme plus vil que l’engeance du dragon accepterait-il un prix pour une tête inappréciable.
On dirait que le vieux père a mis à prix la vie de son noble fils.
Je n’ai point besoin de richesses.
Mais pourquoi tant de paroles ?
Aussi longtemps que le père d’Iredj vivra avec cette tête chargée d’années, il n’abandonnera pas sa vengeance.
J’ai écouté ton message ; écoute ma réponse, prends la tout entière et hâte-toi de partir.
Le messager entendit ces paroles terribles, il vit l’attitude de Minoutchehr, le chef de l’armée ; il pâlit, se leva en tremblant et monta à cheval sur-le-champ.
Le noble jeune homme vit dans son âme brillante tout ce qui devait arriver et qu’avant peu la rotation du ciel amènerait des rides sur la face de Tour et de Selm.
Il alla vite comme le vent, la tête pleine de sa réponse, le cœur plein de doutes ; et lorsqu’il arriva en vue du pays d’occident, il vit une tente dressée dans la plaine ; il s’approcha de la tente, dans laquelle se trouvait le maître de l’occident.
C’était une tente de soie qu’on avait dressée et qui remplissait l’espace.
Les deux rois des deux pays assis en consultation secrète, se dirent :
Voilà notre messager qui revient !
Le chef de la garde se présenta et conduisit l’envoyé devant les rois, qui lui préparèrent un siège nouveau et lui demandèrent des nouvelles du jeune roi.
Ils lui firent des questions sur toute chose sur le diadème et le trône impérial, sur Feridoun et son armée, sur ses héros et ses provinces, puis sur l’aspect du ciel qui tourne, demandant s’il accorderait sa faveur à Minoutchehr ; sur les noms des grands et du Destour, sur la grandeur des trésors du roi et de son petit-fils : et sur leur trésorier.
L’envoyé leur répondit :
Quiconque voit le beau printemps, ne voit rien de comparable à la cour du roi ; c’est un riant printemps dans le paradis, où toute la terre est d’ambre, toutes les briques sont d’or.
Le ciel le plus élevé est le toit de son palais, le paradis sublime est sa face riante.
Il n’y a pas de montagne haute comme son palais, ni de jardin vaste comme sa cour.
Lorsque j’arrivai devant le palais, je trouvai son toit tenant conseil secret avec les astres.
D’un côté, je vis des éléphants, de l’autre des lions ; le monde était soumis à son trône.
Ses éléphants portaient des trônes d’or sur leur dos, tous les lions avaient des colliers de pierres précieuses ; devant les éléphants se tenaient des tambours, de tous côtés sonnaient des trompettes d’airain ; tu aurais dit que la cour en tremblait, que la terre et le ciel en résonnaient.
Je me présentai devant le noble prince, je vis un haut trône de turquoises, sur lequel était assis un roi semblable à la lune, portant sur la tête une couronne de rubis brillants.
Ses cheveux ressemblaient à du camphre, sa face était comme la feuille de la rose, son cœur plein de modestie, sa langue pleine de douces paroles.
Sur lui reposent la crainte et l’espoir du monde ; tu aurais dit que Djemschid vivait encore.
Minoutchehr, semblable au rejeton d’un haut cyprès, était assis comme Thahmouras, le vainqueur des Divs ; il était assis à côté du roi, à sa main droite ; tu aurais dit qu’il était le cœur et la langue du roi.
Puis on y voyait Kaweh le forgeron, plein de valeur et devant lui son fils brave dans le combat ; son nom est Karen le vaillant ; c’est un chef infatigable, un destructeur des armées.
Ensuite on voyait Serv, le chef de Iemen et Destour du roi et Guerschasp le victorieux, le trésorier du roi.
Le nombre des portes de ses trésors est inconnu, jamais personne dans le monde n’a vu pareille puissance.
Tout autour du palais sont placées deux rangées de troupes avec des massues d’or et des toques d’or.
Des chefs comme Karen, le fils de Kaweh, se tiennent devant l’armée, pleins d’expérience et des braves comme Schiroui le terrible lion et Schapour le héros, l’éléphant furieux.
Quand ils attachent les timbales sur le dos des éléphants, l’air devient noir comme la couleur d’ébène.
S’ils viennent nous combattre, les montagnes couvertes de cette multitude seront comme les plaines et les plaines comme les montagnes.
Tous ont le cœur rempli de haine, le front plein de rides ; ils ne désirent que le combat.
Il leur raconta ainsi tout ce qu’il avait vu et tontes les paroles que Feridoun lui avait dites.
Le cœur des deux tyrans trembla de terreur, leur face devint noire, ils restèrent assis à se consulter de toute manière, sans savoir à quoi se résoudre.
Alors Tour s’adressant au puissant Selm, lui dit :
Il faut renoncer à tout repos et à tout plaisir ; il ne faut pas attendre que les dents de ce jeune lion deviennent aiguës et qu’il acquière de la force.
Comment ce prince serait-il sans talent, puisque Feridoun est son conseiller ?
Quand le grand-père et le petits-fils se concertent, il en sortira quelque œuvre prodigieuse.
Il faut nous armer pour le combat et nous hâter au lieu de tarder.
Ils commencèrent à mettre en mouvement leurs cavaliers, ils rassemblèrent leurs armées en Chine et dans l’occident.
Le pays entier fut rempli de bruit et les hommes se rendirent de toutes parts auprès d’eux.
Leurs armées étaient innombrables ; mais leur étoile était impuissante.
Cachées sous leurs casques et leurs cuirasses, accompagnées d’éléphants furieux et de précieux bagages, elles se mirent en marche du Touran vers l’Iran avec les deux assassins, dont le cœur était rempli de haine.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021