C’est ainsi que Bahram passa soixante-trois ans, pendant lesquels il n’avait pas d’égal ; mais au commencement d’une année nouvelle, son vizir, le Mobed intelligent qui lui servait de scribe, se pré--sente devant lui, disant :
Le trésor .du roi des grands est vide et je viens prendre tes ordres.
Aucun homme qui a quelque intelligence ne compte plus sur nous, quant à l’argent que fournirait l’impôtm Le roi répondit :
Ne travaille pas à en
Trouver davantage, nous n’en avons plus besoin.
Abandonne le monde à celui qui l’a créé et qui a fait apparaître le ciel qui tourne ; le ciel passera et Dieu restera et nous guidera vers le bonheur, moi et toi.
Il dormit cette nuit et le lendemain, à l’aube du jour, une foule innombrable se présenta à la porte du palais ; on réunit tous ceux dont la présence était nécessaire ; et Yezdeguerd, le fils du roi, parut devant Bahram, qui lui remit en présence des grands la couronne, le collier, les bracelets et le trône d’ivoire.
Voulant se vouer au service de Dieu, le roi rejeta la Couronne et renonça au trône, car il avait pris en dégoût les affaires du monde.-Lorsque la nuit fut devenue profonde, il eut envie de dormir : mais quand le soleil montra d’en bas son doigt, le cœur du Mobed du roi fut effrayé de ce que le maître du monde ne paraissait pas et il craignit qu’il ne se fût enfui loin des grands.
Yezdeguerd entra chez son père et lorsqu’il l’aperçut, la salive se congelait dans sa bouche ; car il le vit les joues décolorées, enveloppé dans du brocart d’or et ayant rendu l’âme.
Il en est ainsi et il en a été ainsi depuis le commencement des jours.
Ne consume donc pas ton âme par la passion de l’agrandissement ; un cœur de pierre et de fer craint la mort et tu ne peux rien pour l’éviter.
Ce qu’il te faut, c’est de ne faire du mal à personne et d’être humain, si tu veux que ta vie passée ne te nuise pas.
Le roi Bahram est mort malgré sa massue et la force de ses membres et jamais il n’y aura plus dans un palais une pareille main et une taille pareille.
Il n’y a jamais eu et jamais il n’y aura un roi comme lui.
Dieu, purifie son âme de ses péchés, entourela de lumière dans le ciel, préservela toujours de tout mal !
Le nouveau roi porta pendant quarante jours le deuil de son père et l’armée se vêtit en bleu et en noir.
Lorsque ce vaillant roi fut mis dans la tombe, on aurait dit que la générosité avait disparu du monde avec lui.
Mais je veux faire vivre sa générosité et sa justice et maudit soit qui parle mal de lui !
Ni le soleil ni la lune, ni Vénus ni Saturne, ni le trône ni le diadème nevverront plus un roi comme lui.
Hélas !
Cette majesté de Keïanide, cette mine et cette stature, hélas !
Ce roi à l’étoile puissante, cette main et cette massue !
Lui qui était l’ornement du trône d’ivoire, à qui le Roum et la Chine payaient tribut, est devenu l’égal du pauvre qui manque de pain et d’eau !
À quoi lui ont servi la bravoure, ses combats, sa force ?
Si lui et le plus pauvre sont égaux quand ils meurent, s’ils sont également exempts de douleurs et de peines, à quoi servent la royauté et le faste, puisqu’on ne peut pas rester longtemps roi ?
Heureux le pauvre qui a de la foi et de la raison ; le sort l’a souvent maltraité, mais quand il quitte ce 6h monde, il laisse une bonne renommée et sa fin est heureuse ; il aura sa part dans l’autre monde et sera honoré auprès de Dieu.
Il ne sera pas méprisé et malheureux comme moi, qui m’apprête, désespéré, à aller en enfer, qui n’espère rien de la vie à venir, qui n’ai rien des biens de celle-ci et suis étourdi par l’une et par l’autre, comme un homme ivre.
Maintenant, si je puis rassembler mes idées, je vais raconter le règne de Yezdeguerd.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021